Située sur la côte est de la péninsule, bordée par le golfe Persique, la ville de Doha, capitale de l’émirat du Qatar, est passée en quelques décennies d’un port modeste à une cité connectée aux réseaux mondiaux grâce aux exportations de pétrole et de gaz. Chantier de construction permanent, la commune de Doha comprend environ 50 % de la population du Qatar, tandis que le Grand Doha et ses 1,5 million d’habitants concentrent, en 2017, plus de 73 % des 2,6 millions de résidents qatariens, dont 88 % d’expatriés. Le gouvernement tente de réduire, avec peu de succès, ce phénomène de macrocéphalie. Le développement de la capitale qatarienne, marqué par une croissance récente et rapide, notamment depuis l’indépendance de l’émirat en 1971, est aujourd’hui caractérisé par des méga-projets, ces développements qui fragmentent la ville au niveau local mais la connectent au niveau mondial.
Un développement récent
caractéristique du « pétro-urbanisme »
Ancien port de pêche et de commerce, Doha fut longtemps une petite ville influencée par la vie tribale et la pêche perlière jusqu’à son déclin dans les années 1930, consécutif à la crise de 1929 et à la concurrence des perles de culture japonaises. Concentré au sud de la baie, le centre urbain traditionnel ne dépasse pas une superficie de 1,25 km2. Des gisements de pétrole sont découverts en 1939, mais c’est seulement après la seconde guerre mondiale qu’ils seront exploités, donnant le départ à une nouvelle phase de développement urbain dans les années 1950. À cette période, la ville de Doha regroupait moins de 12 000 habitants sur les 30 000 du Qatar. L’exploitation systématique des hydrocarbures marqua le début d’une phase de transition qui s’accéléra avec l’augmentation des revenus. Alors que Doha ne se développait auparavant qu’autour du port, la ville commença à s’étendre vers l’ouest et le sud et sa superficie quadrupla en quelques années. Elle atteint 12 km2 à la fin des années 1960, pour une population de 85 000 habitants, dont 67 % d’étrangers. Un port en eau profonde est complété en 1970 tandis que l’émirat, protectorat britannique, accède pleinement à l’indépendance en 1971. Cette phase de modernisation s’accompagne de grands projets urbains financés par l’État comme la tour Al-Jeedah, l’université du Qatar, des bâtiments gouvernementaux. Le nouveau district de Doha, incluant les quartiers de la corniche, de West Bay et d’Al-Dafna, concentre l’essentiel de l’activité immobilière jusqu’aux années 1980. Un plan de développement semi-concentrique est mis en place comprenant l’aménagement de la corniche, des rocades [ring roads] et de larges avenues radiales, partant du centre historique vers l’ouest. Cette combinaison d’aménagements et de développements d’infrastructures, couplée aux projets urbains liés à l’accueil d’une population immigrée de plus en plus nombreuse, est caractéristique du « pétro-urbanisme ». Au début des années 1980, Doha atteint une superficie de 20 km2 et une population d’environ 200 000 habitants, dont 70 % d’expatriés. Le contre-choc pétrolier de la seconde moitié de la décennie incite cependant le gouvernement à mettre en pause de nombreux projets urbains, tandis que la population de Doha continue d’augmenter, pour s’établir à environ 400 000 habitants en 1995, absorbant les localités limitrophes d’Al-Wakrah et de Madinat Khalifah. Une nouvelle phase de l’urbanisation de Doha débute en 1991 avec la mise en exploitation du gisement gazier de North Field et la production de gaz naturel liquéfié grâce à l’achèvement de la ville industrielle de Ras Laffan, située au nord-est de la péninsule. Cet essor a un impact majeur sur le développement urbain de la capitale qatarienne.
L’ère des méga-projets
Ainsi, de nouveaux grands projets, majoritairement financés par le gouvernement, se déploient à partir des années 1990. En 1995, avec l’accession au pouvoir de l’émir Hamad, père de l’actuel dirigeant, la zone d’Education City, qui héberge de nombreuses universités étrangères, est lancée. En 2001, le Qatar se voit attribuer l’organisation des Jeux asiatiques de 2006 et y répond avec la construction de la Khalifa Sports City. Malgré la crise de 2008 et une période de ralentissement, ce mouvement s’est poursuivi, notamment stimulé par les perspectives de la Coupe du monde de football 2022, obtenue par le Qatar en 2010. Parmi les nouveaux projets, on compte de grandes infrastructures telles que le nouvel aéroport international Hamad, entré en service en 2014, le port Hamad, nouveau port de commerce à 35 km au sud de la capitale ouvert en 2016, la ville nouvelle de Lusail City, située au nord de Doha et prévue pour accueillir 450 000 personnes sur 38 km2, Mushereib, un projet de requalification de 35 ha au centre-ville de Doha, ou encore The Pearl, un archipel d’îles artificielles, à vocation touristique, qui devraitabriter 41 000 résidents internationaux. Ces méga-projets ont pour objectif de générer des profits mais aussi de promouvoir la « marque » Doha afin d’attirer touristes, résidents et investisseurs. Ce faisant, la capitale qatarienne est dorénavant caractérisée par un espace urbain fracturé et divisé entre des enclaves résidentielles ou fonctionnelles, ayant pour fonction de projeter dans le monde une image globale de la ville et du reste de l’agglomération. La ségrégation urbaine y est ainsi très marquée, reflétant notamment les écarts de niveau de vie immenses existant entre les nationaux, qui représentent environ 12 % de la population, et le reste des habitants de l’émirat. En raison de son développement rapide – la population a doublé entre 2007 et 2017 –, Doha fait également face à une augmentation rapide des prix de l’immobilier et à des nuisances croissantes : aggravation de la pollution, et notamment celle de l’air, forte congestion du trafic et fréquents accidents de la route.
Globale, multiethnique et ségréguée, Doha est passée en très peu de temps du statut de petite ville portuaire à celui d’une métropole bien connectée aux flux mondiaux. Marquée par un « pétro-urbanisme » puis des méga-projets, Doha, malgré ses particularités indéniables, a bien une morphologie typique des villes du golfe Persique. La capitale du Qatar a vu se mettre en place en peu de temps, par vagues, des projets urbanistiques et architecturaux répondant à différentes fonctions : construire puis moderniser la ville, l’embellir et, enfin, la rendre attractive au niveau régional et mondial. Ce faisant, Doha connaît de nombreux maux que les nouveaux plans d’urbanisme de niveau local et national tentent d’atténuer.