Mascate occupe un site très contraignant, découpé par les abrupts rocheux du massif de l’Hajar oriental et bordé par le golfe d’Oman, partie de l’océan Indien. L’ancienne minuscule capitale et sa « sœur » Matrah sont devenues la vaste Muscat Capital Area (MCA), qui occupe tout le gouvernorat [muhafaza] de Mascate, comprenant six districts [wilayas].
La capitale d’un sultanat très centralisé
À la fin du XVe siècles, Mascate s’impose comme escale maritime, protégée par les forts Al-Jalali et Al-Mirani construits par les Portugais, puis comme principal entrepôt de la région au XVIIIe siècles siècle. Délaissée par le sultan pour Zanzibar au début du XIXe siècles siècle, elle connaît ensuite un important déclin démographique et économique. À plusieurs moments, elle doit partager le contrôle territorial avec Nizwa, siège de l’imam ibadite : branche à part de l’islam, l’ibadisme prévoit un pouvoir politique confié à un imam élu par des ulémas, hommes pieux et savants. En 1970, le coup d’État du sultan Qabous en fait la capitale du sultanat d’Oman, dénomination qui réunifie l’ancien « sultanat de Mascate et d’Oman ».
La « Renaissance » [Nahda, initiée par le Sultan Qabous] est marquée par le centralisme d’un pouvoir qui doit d’abord s’imposer contre la guérilla communiste au Dhofar et des tentations sécessionnistes dans le massif de l’Akhdar ou dans l’enclave de Musandam. Elle s’appuie sur la redistribution de la rente pétrolière sous forme d’emplois publics, ce qui attire la population intérieure, les Omanais rentrés d’Afrique orientale et les étrangers, notamment ceux des pays riverains de l’océan Indien. L’explosion urbaine de Mascate relève, de ce point de vue, de l’Oil Urbanization commune au Golfe même si elle y est plus tardive. À périmètre constant, l’agglomération de Mascate est passée de 56 000 habitants en 1970 (dont 5 000 à Mascate intra-muros et 10 000 à Matrah) à 226 000 habitants en 1980 et à plus de 860 000 en 2017.
Une ville mondialisée dans l’océan Indien
Au premier coup d’œil, Mascate semble être un « anti-Dubaï », sans gratte-ciel audacieux et avec peu d’immeubles en verre et acier. Composée initialement de quelques belles maisons de l’élite citadine, qui abritent aujourd’hui musées ou institutions comme Bayt Faransa, Bayt Al-Baranda ou Bayt Al-Zubayr, et de huttes de pisé ou de palmes [barasti] délabrées, l’agglomération a connu un premier développement inspiré par les cabinets d’architectes John R. Harris et Makiya Associates qui plaidaient pour des normes esthétiques et architecturales plus ou moins conformes à l’identité omanaise, où dominent les teintes crème ou blanc et les pastiches d’arcs islamiques ou de moucharabieh. Dans les années 1980, les règles édictées pour les villas cossues d’Al-Qurm sont restées comme une référence, reprise pour l’ensemble de Madinat al-Sultan Qaboos, quartier résidentiel conçu pour les expatriés aisés. En l’absence de toute architecture monumentale civile autre que les forts en Oman, les nombreux bâtiments officiels hésitent entre l’évocation de ceux-ci avec force créneaux ou un style relativement unifié qui ferait penser à l’architecture coloniale de l’empire des Indes. Le résultat produit un paysage urbain qui évoque une synthèse des mondes arabo-musulman et de l’océan Indien.
Cette synthèse est visible également dans la population de l’agglomération de Mascate où se côtoient, notamment, Omanais en dishdasha, autres Arabes en tenue occidentale, souvent Égyptiens, Occidentaux mais aussi Asiatiques, humbles ouvriers du Pakistan ou du Bangladesh ou cadres indiens. La moitié de ces immigrés [wâfidyn] d’Oman réside sur le territoire de la MCA : ils représentent trois quarts des habitants dans les wilayas [districts] de Mascate et de Bawsher, la proportion s’inversant dans celle de Sib. Ce mélange, qui fait de Mascate une ville-monde, a ses racines dans la dhow culture analysée par Abdul Sheriff : les navires traditionnels [dhow] n’étaient pas seulement un moyen de commerce à travers l’océan Indien, mais le vecteur d’une culture métissée, commune aux rives de cet océan, et ce encore aujourd’hui.
Cosmopolite, Mascate s’affiche encore comme place de tolérance et de dialogue entre cultures, comme l’y invite la tradition ibadite, troisième voie de l’islam entre sunnisme et chiisme, ce qui ne peut que conforter l’attractivité d’Oman dans un Moyen-Orient marqué par les clivages confessionnels. Sur un terrain offert par le sultan, le quartier de Ruwi accueille aussi un temple hindou et plusieurs églises chrétiennes à disposition des expatriés. Sur la corniche de Matrah, les croisiéristes faisant escale peuvent entendre l’appel à la prière chiite, qui invoque également Ali « wali d’Allah », lancé depuis la mosquée bleue du Sûr Al-Lâwatiyya, quartier de chiites d’origine indienne, en même temps que l’appel à la prière sunnite ou ibadite. À l’ouest, la grande mosquée Qabous se veut un condensé des différents styles artistiques du monde musulman, bien loin de l’islamisme intolérant. En 2016 a été inauguré un nouveau musée national, face au palais de Mascate : cette localisation souligne l’engagement du pouvoir en faveur de la lecture ouverte et consensuelle de l’histoire omanaise présentée par ce musée.
L’ouverture culturelle de la capitale s’incarne dans des lieux comme l’Opéra royal de Mascate, unique au Moyen-Orient, et par des événements tels le Festival de Mascate ou le Salon international du livre. Cette ouverture suscite toutefois des frictions ponctuelles, à propos de certains spectacles à l’opéra, inhabituels en terre d’islam, de la perte d’identité du souk de Matrah, saturé par les touristes et donc délaissé par les Omanais, ou d’une « indianisation » du pays.
Recomposition de l’espace urbain et nouvelles centralités
Jusqu’en 1970, Mascate et Matrah se caractérisaient par une répartition tribale et ethnique de la population par quartier [hillat], associant l’élite du groupe à la masse plus pauvre dans une même solidarité de survie. La mise en place d’un État central fort, répondant aux besoins de chacun grâce à la rente pétrolière, a substitué à cette organisation une différenciation géographique par niveau social. Les Omanais revenus d’Afrique orientale ont largement perdu leur cadre tribal, notamment pour le choix de leur lieu d’habitation. Ce bouleversement a été renforcé par l’afflux d’expatriés occidentaux, qui ont introduit leurs goûts en matière d’immobilier, privilégiant les hauteurs et le bord de mer, par exemple à Al-Qurm, Al-Saruj ou Madinat al-Sultan Qaboos. Leur influence s’exerce sur le montant des loyers, puisqu’ils sont exclus de la propriété immobilière, à l’exception des ressortissants des pays du Conseil de coopération du Golfe depuis 2008. Les classes moyennes habitent plutôt Wadi al-Kabir, Al-Wuttayah ainsi que les marges de Saruj et Ruwi. Les plus pauvres, à Matrah, Hamriyah, Wadi al-Kabir ou Wadi Aday, ont bénéficié de programmes de logements sociaux à partir de 1985, comme à Wadi al-Haddat, au sein de Madinat al-Nahda. Les grandes maisons blanches des beaux quartiers procurent aussi une certaine mixité en abritant sous le même toit des travailleurs souvent immigrés et une famille aisée omanaise. Il faut également ajouter les campements qui hébergent les ouvriers immigrés en fonction des chantiers, soit à proximité de ceux-ci, soit en périphérie de la capitale.
Mascate a perdu ses centralités anciennes au profit de nouvelles. Le centre historique n’est plus que le siège du pouvoir royal et le lieu d’identité nationale avec plusieurs musées, tandis que la corniche de Matrah conserve une fonction commerciale avec le souk et le marché aux poissons rénové, ainsi que d’interface avec le projet Mina Sultan Qaboos Waterfront pour accueillir davantage de navires de croisière. Plus à l’ouest, le littoral abrite le district des ministères et le quartier des ambassades. Sur le modèle des malls dubaïotes, sans en avoir le gigantisme, de nouveaux centres commerciaux tels Muscat Grand Mall et Oman Avenues Mall à Al-Ghubrah ou Muscat City Center à Sib, non loin de l’aéroport international, deviennent de nouvelles centralités en procurant un espace public non seulement de consommation courante mais aussi de loisirs et de détente avec restaurants, cinémas, jeux pour enfants voire pour adultes.
De nouveaux centres apparaissent encore avec la création de complexes touristiques intégrés, comme la station balnéaire The Wave ou Amouageà Sib, où les expatriés peuvent acheter un logement. C’est le cas également du vaste projet Madinat al-Irfan dont l’ambition officielle est de devenir le Muscat’s Vibrant New Heart. Affichant de hautes ambitions environnementales et urbanistiques, il doit concilier diverses fonctions, résidentielles de haut niveau pour 300 000 personnes, de services avec un business district et le nouvel Oman Convention & Exhibition Center.
Étalement urbain et durabilité en question
S’étirant sur 60 à 80 km de longueur et une quinzaine de kilomètres de profondeur, l’espace urbain de Mascate a plus que décuplé en un demi-siècle. L’obstacle constitué par le massif du Hajar oriental et l’emprise de terrains militaires et d’autres bâtiments publics orientent l’étalement urbain vers le nord-ouest. D’une part, il concerne la plaine côtière de la Batina, en particulier dans les quartiers d’Al-Khoud et de Halban, comprenant des pôles d’enseignement supérieur et d’innovation avec le campus de la Sultan Qaboos University, plusieurs autres établissements comme la German University of Technology et le parc technologique Knowledge Oasis Muscat. D’autre part, il s’étend jusqu’au piémont du Hajar occidental, incorporant d’anciens villages tel Fanja, dont le noyau ancien est souvent abandonné, mais qui reçoivent des programmes de lotissement.
Si elle s’explique par les limites de l’offre de terrains dans les quartiers centraux, cette évolution est fortement amplifiée par le choix politique de privilégier le pavillon individuel comme mode de logement : depuis 1984, chaque Omanais et, depuis 2008, chaque Omanaise peuvent recevoir du sultan un terrain de 600 m² (système de la minha) et bénéficier de prêts bonifiés de la Bank of Housing pour bâtir.
Ce choix est à l’opposé de l’habitat traditionnel, à savoir des maisons serrées les unes contre les autres pour se protéger mutuellement du soleil et ombrager partiellement des rues étroites. Sur le plan social, les terrains sont attribués par tirage au sort parmi les éligibles : le voisinage se fait donc selon le hasard et non plus en fonction de l’appartenance tribale comme dans les quartiers [harât] d’autrefois. Il ne tient également pas compte du lieu de travail de l’élu, ce qui engendre de longs déplacements quotidiens, source d’encombrement du réseau routier et de pollution, à moins que le propriétaire ne spécule en revendant le terrain plus tard, le laissant non bâti quelquefois pendant des années (depuis 2006, le lot ne peut être revendu qu’après deux ans).
Ce système conduit à une faible occupation de l’espace et à un étalement urbain illimité. Il produit un paysage urbain inachevé, avec des parcelles vides, des services urbains incomplets, parfois l’absence de commerces de proximité. Enfin, le choix d’un zonage par fonction amplifie les déplacements quotidiens et leur impact écologique. Un début de prise de conscience de ce problème a conduit à multiplier les lignes de bus desservies par l’entreprise publique Mwasalat, toutefois peu fréquentées par les Omanais eux-mêmes, qui préfèrent leur véhicule personnel pour se déplacer.