Aéroports

Portes d’entrée et de passage, les aéroports du Maghreb et du Moyen-Orient participent puissamment à la mondialisation et à l’intégration de la région par les échanges soutenus, croissants et hétérogènes qu’ils alimentent à diverses échelles. Ils offrent un visage profondément riche et ambivalent des mutations et des défis des sociétés urbaines.

L’expression d’un foisonnement de relations à large échelle

Les aéroports sont des lieux privilégiés de déploiement des mobilités migratoires, d’affaires, de tourisme ou encore de pèlerinage, montrant la profondeur des liens tissés dans la région et avec le reste du monde. Ces relations multiples n’en demeurent pas moins polarisées par un nombre limité de plates-formes de correspondance ou hubs.

Le plus spectaculaire est certainement celui de Dubaï, troisième au monde en passagers et premier en passagers internationaux, en fort décalage avec le poids démographique de la ville. S’y exacerbe une stratégie de captation des flux, entreprise à un rythme atténué à Doha et à Abu Dhabi, et caractéristique des villes du golfe Arabo-Persique. Cette position s’avère inégalée à l’échelle de la région, à l’exception du principal aéroport d’Istanbul, en fort essor. Il devance de loin Doha et Abu Dhabi comme deuxième aéroport de la région, s’appuyant, il est vrai, sur une aire urbaine sans commune mesure.

Les liaisons directes entre villes étant limitées, faire une correspondance est une pratique fréquente. Par ce biais la situation du Moyen-Orient se prête bien à l’établissement de liaisons aériennes à fort potentiel : entre Europe et Asie, comme entre pays émergents d’Asie et d’Afrique. Depuis les années 2000, le faible coût de la main-d’œuvre et l’appui financier des autorités à leurs aéroports et compagnies porte-drapeau (Emirates, Qatar Airways, etc.) contribuent à imposer de manière singulière ces hubs sur la carte du monde du réseau aérien.

Ces dynamiques d’échanges sont présentes ailleurs dans la région, de manière diffuse. L’ancrage aérien assuré par les principaux aéroports des États du Moyen-Orient est assez important par rapport à leur population, exception faite de la situation particulière des pays en guerre, de l’Iran – malgré une forte progression du trafic depuis le début de levée des sanctions – et de l’Égypte. L’aéroport du Caire, deuxième d’Afrique en nombre de passagers, est moins actif que celui d’Israël, malgré une population quatre fois plus importante. Par contraste avec le Moyen-Orient, le Maghreb participe à ces relations aériennes avec une moindre intensité.

Ce paysage aéroportuaire évolue avec les mutations du système migratoire, des aménagements et mises en tourisme et, bien sûr, des situations de conflits ou d’attentats. Plus progressif qu’en Asie ou en Europe, l’essor des compagnies aériennes à bas coût contribue à intensifier ces relations, à l’échelle régionale (Air Arabia à Sharjah, Flydubai à Dubaï, Pegasus à Istanbul) ou euro-méditerranéenne (Easyjet et Ryanair au Maroc, en Turquie, en Israël, voire en Égypte). La fréquentation est rythmée par de grands événements, à l’image de l’Exposition universelle de Dubaï prévue initialement en 2020 et de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022, mais aussi tout spécialement du hajj. L’affluence que suscite le pèlerinage à La Mecque marque chaque année de sa singularité Djeddah et son terminal ad hoc parmi les plus grands au monde, ainsi que les aéroports de la région et d’au-delà.

Des lieux de pouvoir à enjeux considérables

Vitrines en continuelle transformation, les grands aéroports de la région relèvent par excellence de méga-projets générateurs d’inégalités, depuis la pénibilité des chantiers pour les travailleurs migrants jusqu’aux nuisances occasionnées. Celles-ci exposent des habitants vulnérables à un trafic soutenu, y compris de nuit, considéré comme une source stratégique de diversification économique par les régimes en place. À plus fine échelle, les inégalités s’expriment dans le passage de la frontière, entre les circuits rapides des « VIP » et ressortissants du Conseil de coopération du Golfe par exemple et ceux des autres, travailleurs migrants tout spécialement. Les contrôles peuvent revêtir une acuité particulière, comme à l’aéroport principal d’Israël, pionnier à l’échelle mondiale en matière de surveillance. Ses techniques de profilage et de renseignement sont régulièrement qualifiées d’« intrusives » et de « discriminatoires ».

Ces lieux rendent ainsi sensibles bien des tensions sociales, culturelles et politiques, y compris comme cibles de bombardements (Sanaa ou Rafah, dans la bande de Gaza), théâtre de guerre (Tripoli) ou d’attentats (Istanbul). L’illustrent également, plus qu’ailleurs, des liaisons absentes : entre Israël et la majorité des pays arabes, ou entre le Qatar d’un côté et l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte de l’autre depuis la crise de 2017, affectant grandement les parcours des passagers. S’y ajoute le passage de réfugiés, de salariés de l’ONU et d’ONG, mais aussi de militaires et de mercenaires des entreprises privées états-uniennes, au point que le terminal 2 de l’aéroport international de Dubaï, à l’écart des autres, est aujourd’hui considéré comme le terminal commercial le plus impliqué dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan.

Ce sont également des lieux de démonstration d’une capacité d’affirmation des migrants. Les impressionnants paquetages, confectionnés à grand renfort de scotch, de couvertures et de cordes, au transport négocié à l’enregistrement, rappellent l’ampleur de l’attention aux proches, qu’il s’agisse de produits de première nécessité comme on peut en trouver au fond de certains duty free de la région (lait en poudre, lessive) ou d’autres objets. Mais ils illustrent aussi le fort déploiement du « commerce à la valise », ce passage en petites quantités de marchandises non déclarées et revendues par la suite, jouant des différentiels de prix entre les pays. En se regroupant, en s’asseyant en tailleur à même le sol, au grand dam de la conception individualisante et hygiéniste des gestionnaires d’aéroport, les migrants de tous horizons y soulignent au quotidien la complexité des mutations à l’œuvre.


Auteur·e·s

Frétigny Jean-Baptiste, géographe, Université de Cergy-Pontoise


Citer la notice

Frétigny Jean-Baptiste, « Aéroports », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/aeroports/