Éducation

Différents par leur dimension géographique, leur nombre d’habitants, leur histoire nationale, les pays du Maghreb et du Moyen-Orient trouvent dans leurs réalités éducatives et scolaires respectives des points communs qui les rapprochent. Depuis des décennies, certains pays tels que l’Égypte et la Tunisie ont mis en place des réformes et des politiques éducatives visant à améliorer les conditions scolaires et assurer une égalité des chances éducatives de leurs citoyens. Néanmoins, les disparités spatiales et de genre prouvent que de nombreux défis restent à relever.

Vers une universalisation des enseignements
primaire et secondaire ?

Les pays arabes ont réalisé des progrès considérables dans le domaine de l’éducation. D’après l’Unesco, le taux net de scolarisation au niveau primaire des États arabes est passé de 77 % en 1999 à 86 % en 2010, tandis que celui de la scolarisation au niveau secondaire de 59 à 69 % sur la même période. Les indices de parité des sexes au primaire et au secondaire ont eux aussi augmenté (de 0,87 à 0,93 au primaire ; de 0,88 à 0,94 au secondaire), démontrant ainsi les efforts déployés par les États en faveur de l’égalité entre les sexes. Néanmoins, ces résultats s’opposent à des réalités sociales fort décourageantes comme celles de l’abandon scolaire au Maroc qui touchait, en 2016, respectivement 10,8 % et 11,5 % des adolescents aux niveaux du collège et du lycée. Quant à l’Irak, en 2018, l’analphabétisme concerne plus de 47 % de la population du pays.

Les situations éducatives en Tunisie et en Égypte sont des cas représentatifs qui reflètent au mieux les tendances générales suivies par les autres pays arabes ainsi que leurs avancées et défis dans le développement de leurs systèmes éducatif et scolaire.

Avec une structure scolaire semblable (neuf ans d’enseignement fondamental – six ans d’école primaire et trois ans d’école préparatoire en Égypte et en Tunisie –, trois ou cinq ans d’enseignement secondaire en Égypte et quatre ans en Tunisie), les deux pays ont le mérite d’avoir accompli des progrès considérables dans l’accès à l’instruction afin d’atteindre l’universalisation des enseignements primaire et secondaire.

En Égypte, le taux net de scolarisation au niveau primaire passe de 95,9 % en 2009 à 97 % en 2017 et le même indicateur enregistre également en Tunisie une augmentation passant de 97,1 % en 2006 à 99,1 % en 2016. Les résultats accomplis pour assurer une instruction primaire gratuite à tous les enfants font écho aux avancées réalisées en faveur de l’égalité des chances éducatives. De fait, en Égypte comme en Tunisie, l’accès à l’enseignement primaire pour les filles va de pair avec celui des garçons, d’autant plus que, dans certains cas, les fillettes semblent être plus nombreuses que les garçons à fréquenter le cycle primaire. Pour le cas égyptien, sur la période analysée (2012 à 2017), le pourcentage d’élèves de sexe féminin inscrites dans un établissement primaire évolue légèrement (97,1 % en 2012, 97,5 % en 2017), tandis que le pourcentage des élèves de sexe masculin marque un arrêt, voire une très légère régression (96,6 % en 2012 contre 96,5 % en 2017). Ces données attestent qu’un nombre plus important de fillettes fréquente désormais l’école primaire, constat qui est stable sur toute la période examinée.

En Tunisie, la scolarisation des enfants des deux sexes continue de progresser pour intégrer quasiment la totalité de la population en âge scolaire du primaire. Sur la période 2011-2016, ce taux de scolarisation passe respectivement de 98 à 99 % pour les garçons et de 98,6 à 99,2 % pour les filles.

Des progrès semblables se produisent également dans l’enseignement secondaire, tant en Égypte qu’en Tunisie. Le taux brut de scolarisation au secondaire croît de 66,6 à 86,5 % entre 2009 et 2017. Cette croissance est suivie de manière cohérente par une hausse – et un léger dépassement par rapport aux garçons – du pourcentage des filles fréquentant un établissement secondaire (81,6 % contre 81,3 % de garçons) en 2017. En Tunisie, le développement de la scolarisation féminine dans le secteur secondaire est plus flagrant. Si, en 2006, les jeunes filles sont 77,7 % à être scolarisées (contre 72,6 % des jeunes hommes), en 2016, leur pourcentage atteint 85,9 % alors que celui de la scolarisation masculine varie très peu (76,7 %).

Des disparités spatiales et de genre persistantes

Malgré les tendances encourageantes dans l’enseignement primaire et secondaire et les efforts accomplis pour garantir l’accès à l’instruction aux enfants en âge scolaire, de nombreux défis restent à relever au sein des réalités éducatives dans la plupart des pays de la région.

En effet, les résultats positifs dans le domaine de la scolarisation primaire et secondaire ne sauraient cacher le phénomène de l’abandon scolaire qui est manifestement un problème irrésolu. Les données statistiques du ministère de l’Éducation tunisien pour l’année scolaire 2015-2016 et un rapport national de l’Unicef sur les enfants non scolarisés de 2014 concordent sur le principe que, en Tunisie, le risque de sortir du système scolaire augmente avec l’avancement de l’âge de l’élève. Le taux total d’abandon scolaire au primaire (1 %) est en effet moins important que celui du cycle préparatoire (9,2 %) et encore moins comparé au taux du secondaire (12,8 %). Ceci signifie que la transition entre les cycles primaire et secondaire reste toujours problématique. L’analyse par genre de ces données révèle en outre que les garçons sont les plus concernés par le phénomène, qu’ils soient au primaire, au préparatoire ou bien au secondaire, et que les lycéens ont moins de probabilité de terminer le parcours scolaire que les écoliers. Le taux d’abandon scolaire des filles au primaire est de 0,9 % contre 1,2 % pour les garçons, tandis que dans le secondaire il s’élève à 11,1 % pour les filles et 15,3 % pour les garçons.

Dans ce domaine, la réalité éducative égyptienne suit, sur certains aspects, la même tendance qu’en Tunisie, même si les différences restent considérables. Comme pour la Tunisie, l’abandon scolaire est un phénomène fort répandu, avec plus d’un million d’Égyptiens ayant abandonné l’école, selon le recensement de 2017. Or, à la différence de leurs pairs tunisiens, les lycéens égyptiens sont moins affectés par l’abandon scolaire (348 623) que ceux du cycle préparatoire (451 881). Une autre différence substantielle avec la réalité éducative tunisienne est que les élèves égyptiennes risquent davantage de sortir du système scolaire que leurs homologues tunisiennes. Celles qui ont abandonné l’école en 2017 sont au total 599 703, contre 523 060 garçons. Cependant, ce constat ne s’applique pas à tous les cycles scolaires, le nombre des garçons du primaire concernés par l’abandon scolaire étant supérieur à celui des filles (188 108 contre 134 151).

Ces deux pays doivent faire face à un autre problème majeur, à savoir l’analphabétisme. Tant en Égypte qu’en Tunisie, il touche en priorité les femmes et les habitants des milieux ruraux. En Égypte, le recensement de 2017 révèle que 18,4 millions de citoyens de dix ans et plus sont analphabètes, avec une part féminine légèrement majoritaire (10,6 millions). Et, à l’instar de la Tunisie, les habitants des milieux ruraux sont les plus concernés (12,8 millions) et les femmes de ces milieux représentent plus de la moitié (7,5 millions). Si l’on passe à l’échelle des gouvernorats, les données les plus alarmantes viennent du gouvernorat de Minieh avec un taux d’analphabétisme de 37,2 % pour la population totale (45,4 % sont des femmes). Suivent les gouvernorats de Beni Souef (35,9 %), Assiout (34,6 %) et Fayoum (34 %) où 40 % des femmes sont analphabètes.

En Tunisie, le taux d’analphabétisme de la population âgée de dix ans et plus est de 18,8 % en 2014. Il est vrai que des progrès significatifs ont été faits dans ce domaine depuis vingt ans alors que l’analphabétisme touchait presque un tiers des Tunisiens en 1994 (31,7 %). Néanmoins, d’après le recensement de 2014, le problème de l’analphabétisme reste préoccupant pour un quart de la population féminine et pour près d’un tiers de la population tunisienne habitant en milieu rural. L’analyse géographique par territoire révèle que les gouvernorats les plus touchés sont principalement Kairouan, Jendouba, Kasserine et Siliana où environ 40 % des femmes et des habitants en milieu rural sont analphabètes.

Néanmoins, le phénomène de l’analphabétisme dans les milieux ruraux tunisiens paraît contraster avec le mouvement de délocalisation à l’échelle régionale que connaissent les établissements universitaires du pays depuis les années 1970. Ce mouvement se traduit en un éclatement du réseau universitaire sur le territoire national. Si, dans certains cas, la création d’un pôle universitaire se réalise sur l’espace urbain périphérique des villes moyennes tunisiennes, par exemple dans les régions du Nord-Ouest et du Centre-Ouest, dans d’autres cas, il peut s’implanter sur des sites agricoles ou naturels à l’intérieur de ces villes. Pourtant, ceci ne semble pas influencer le taux de scolarisation dans ces milieux ruraux car, comme le démontre N. Daher (2010), le cloisonnement des pôles universitaires reste fort, même si une tendance au développement graduel des échanges entre la communauté universitaire et la population locale s’observe depuis peu.


Auteur·e·s

Diana Chiara, historienne, Université libre de Bruxelles


Citer la notice

Diana Chiara, « Éducation », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/education/