La Mecque

Placée à un carrefour de routes caravanières, La Mecque a acquis une importance commerciale et religieuse dès l’Antiquité. Réputée avoir été fondée par Abraham, la ville est aussi le lieu de naissance du prophète de l’islam, Muhammad. En islamisant l’antique pèlerinage, dont le point focal était la Kaaba, enceinte cubique abritant une pierre noire particulièrement vénérée, Muhammad a fait de La Mecque la ville la plus sainte de l’islam et le centre de la géographie sacrée des musulmans. Ceux-ci se tournent vers elle cinq fois par jour pour la prière et ils sont tenus, s’ils en ont les moyens physique et pécuniaire, de s’y rendre au moins une fois dans leur vie pour y réaliser le pèlerinage.

La Mecque, ville de pèlerinage

La Mecque est indissociable de deux autres villes du Hedjaz, Médine et Djeddah. Avec la première, elle forme un binôme religieux fondamental pour les musulmans. Si, contrairement au pèlerinage à La Mecque, la visite à Médine, située à 350 km au nord de La Mecque, n’est pas une obligation canonique, les croyants accordent une grande valeur spirituelle au séjour dans la ville illuminée [al-madina al-munawwara] où se trouve le tombeau du Prophète. Avec Djeddah, La Mecque entretient des rapports plus pratiques. Depuis l’avènement de la navigation à vapeur puis de l’avion, Djeddah, sise sur le littoral à 80 km de La Mecque, est le point d’entrée de la plupart des pèlerins en Arabie saoudite. Les arrivées se font désormais à l’aéroport international de Djeddah, dont un terminal est exclusivement réservé aux pèlerins. Autrefois itinéraire semé d’embuches pour les caravanes, le triangle Djeddah/La Mecque/Médine est désormais relié par un train à grande vitesse, inauguré en 2018.

À l’intérieur de ce premier périmètre se dessine l’espace plus restreint du territoire sacré, délimité par des bornes virtuelles [mîqât] situées autour de La Mecque. À partir de ces points, le territoire sacré est régi par un certain nombre de règles et d’interdits et les pèlerins doivent se trouver en état de sacralisation [ihrâm]. Cet espace est, en outre, interdit aux non-musulmans, ce qui est aussi, par extension, le cas de Médine, située pourtant au-delà de ces limites. L’espace des rituels, où se réalise le pèlerinage proprement dit, est quant à lui ramassé autour de La Mecque. Lors du dernier mois du calendrier musulman, et en suivant un itinéraire immuable depuis que le Prophète l’a emprunté en 632, les pèlerins se rendent d’abord à la mosquée sacrée [haram] où se trouve la Kaaba, dont ils font sept fois le tour, puis ils se lancent dans une course rapide entre les rocs de Safa et Marwa, situés à proximité dans la ville, également à sept reprises. Ils se rendent ensuite à Arafat, à une vingtaine de kilomètres de La Mecque, où ils font une longue halte diurne, qui constitue le point culminant du pèlerinage. Ils rejoignent enfin Mina, localité proche de La Mecque, où ils doivent lapider de grandes stèles représentant Satan. Si le grand pèlerinage [hajj] à lieu à une date fixe, la oumra, ou petit pèlerinage, qui ne comprend que les rituels effectués à La Mecque même, peut être réalisé à n’importe quel moment de l’année. Désormais, le hajj attire environ 3 millions de pèlerins, et la oumra de 6 à 8 millions. Le pèlerinage est donc au cœur des activités de la ville et lui offre un important bassin d’emplois, dans les services, le commerce et la sécurité. La Mecque est, en outre, le siège du puissant ministère du Hajj et de la Omraqui orchestre l’organisation de ce gigantesque rassemblement en collaboration avec tous les pays ayant des ressortissants musulmans.

La Mecque, ville de la démesure

Ville sainte, La Mecque n’a jamais été un centre de pouvoir et est demeurée longtemps une cité modeste. Les photographies des années 1950 montrent une ville qui a encore peu changé par rapport au début du siècle. Mais, depuis lors, elle ne cesse de grossir et de se transformer. L’apport des revenus du pétrole, notamment après 1973, a coïncidé avec l’explosion du nombre de pèlerins, liée à l’amélioration des conditions de vie et au développement de l’aviation. Organiser et sécuriser le pèlerinage devient plus que jamais une priorité pour la dynastie saoudienne qui, dépourvue d’ascendance prophétique, peut y puiser un surplus de légitimité. À partir de 1956, de gigantesques travaux d’agrandissement de la mosquée sacrée sont entrepris, multipliant par six sa superficie et entrainant la destruction du tissu urbain environnant et de nombreux bâtiments patrimoniaux. La ville s’étend désormais au-delà de ses lisières naturelles, sans toutefois que les bâtiments ne prennent de la hauteur. Le réseau viaire est transformé et élargi, des tunnels sont creusés et des autoroutes permettent de se rendre à Djeddah, Arafat et Mina. La modernisation de la ville s’accélère à partir des années 1980, privilégiant l’aménagement des principaux lieux du rituel. Mais le gigantisme des projets ne parvient pas à enrayer la fréquence des accidents, bousculades mortelles, incendies et effondrements d’immeuble. Avec la perspective du tarissement de la manne pétrolière, le pouvoir saoudien mise sur le développement du tourisme religieux, engageant à partir des années 2000 une nouvelle phase de transformation, d’une ampleur inégalée. La mosquée sacrée est une nouvelle fois agrandie, afin de pouvoir accueillir 5 millions de fidèles. Elle est désormais surplombée par un complexe de gratte-ciel dont le plus haut s’élève à 601 m et abrite la plus grande horloge du monde. D’autres programmes immobiliers du même type sont entrepris, dont un hôtel de dix mille chambres, doté de quatre héliports. Ils sont réalisés au prix de destructions massives, y compris de vestiges datant des premiers temps de l’islam. Cette insouciance est due au fait que le wahhabisme récuse toute vénération qui ne serait pas adressée à Dieu, comme en a déjà témoigné l’arasement des tombeaux de saints entrepris lors de la conquête saoudienne du Hedjaz à la fin des années 1920. Si des voix s’élèvent pour déplorer la perte de ce patrimoine, elles restent peu audibles face à la volonté saoudienne de faire de La Mecque une ville a-historique.


Auteur·e·s

Chiffoleau Sylvia, historienne, Centre national de la recherche scientifique


Citer la notice

Chiffoleau Sylvia, « La Mecque », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/la-mecque/