Dans un Maghreb et un Moyen-Orient fortement dépendants d’intérêts extérieurs pour les approvisionnements agricoles, les biens de consommation courante, mais aussi pour la vente de produits énergétiques (Choplin et al., 2017), les ports constituent des pièces maîtresses des économies nationales. Ils attirent des projets de développement de grande envergure qui les placent au cœur d’enjeux publics et privés et de dispositifs multi-scalaires.
Sur la route du commerce entre Europe et Asie
La géographie maritime et portuaire des ports du Maghreb et du Moyen-Orient a connu des transformations majeures depuis la fin des années 1990 qui amènent à une plus forte participation d’un certain nombre de ports aux circuits internationaux de l’échange. C’est en particulier sur les passages interocéaniques que les volumes portuaires conteneurisés les plus importants sont relevés : au Maroc, sur le détroit de Gibraltar, avec Tanger-Med (3 millions EVP – équivalent vingt pieds – en 2016 selon l’autorité portuaire) ; en Égypte, au débouché septentrional du canal de Suez avec Port-Saïd notamment (3,7 millions EVP). Ces ports sont devenus des escales privilégiées des grands armateurs internationaux qui opèrent entre Europe et Asie. La privatisation des terminaux a permis, outre leur modernisation, l’installation sur la longue durée d’opérateurs privés (tel le danois APM Terminals, filiale de Maersk) venant chercher sur la rive sud de la Méditerranée de nouvelles opportunités de croissance des trafics et une situation optimale qu’offrent les ports du détroit de Gibraltar comme ceux du canal de Suez (Mareï, 2016). Dans le prolongement des hubs méditerranéens, il faut signaler la montée en puissance de Dubaï (15,7 millions EVP, 9e au classement mondial des ports) devenue une plate-forme d’éclatement pour le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est, grâce, entre autres, à la stratégie du groupe portuaire émirati Dubai Ports World. Dans ce contexte, l’espace maritime et portuaire qui s’étend du détroit de Gibraltar au détroit d’Hormuz a renforcé ces dernières années son potentiel économique, donnant plus que jamais à la Méditerranée un rôle stratégique sur la scène internationale.
Tanger-Med, du détroit de Gibraltar à l’Afrique
C’est dans ce contexte international qu’il faut expliquer l’émergence et le succès du port Tanger-Med (Mareï, 2012). En 2001, le Maroc s’est engagé dans la construction, à 40 km à l’est de la ville de Tanger, en plein détroit, d’un port ex nihilo sur le site du barrage de l’oued Rmel. Le projet Tanger-Med, inauguré fin 2007 et dont l’objectif originel était la création d’une plate-forme d’éclatement des conteneurs, prend une nouvelle tournure avec l’ambition de développement d’un port industriel. Ce grand projet, initié par le roi Mohammed VI lui-même, se concrétise et se consolide par l’installation, en 2012, de l’usine Renault dans la zone franche industrielle de Melloussa. Aujourd’hui, les trafics du port sont portés par l’exportation des voitures low cost fabriquées au Maroc (la gamme Dacia) et par une fonction de redistribution des conteneurs à destination de l’Afrique. La fonction de hub africain de Tanger-Med n’a cessé de s’affirmer ces dernières années (au moins 35 % de l’activité du port, avec 37 ports africains connectés), faisant du Maroc une porte africaine, vocation en résonance avec les projets royaux. Les ambitions de connexions à l’Afrique se déclinent également par la voie terrestre à travers le projet de consolidation d’un corridor entre Tanger, Nouakchott et Dakar venant concurrencer un axe central et historique depuis l’Algérie mais qui peine à se structurer.
Des contextes locaux et nationaux prépondérants
D’autres ports tirent leur épingle du jeu par des trafics de niche comme les ports algériens grâce aux vracs liquides (pétrole et gaz liquéfié) ou ceux qui sont aux débouchés des principaux oléoducs et gazoducs de la péninsule arabique (en Arabie saoudite, au Koweït, au Qatar, etc.). Casablanca et Alexandrie sont évidemment à mentionner : ports anciens, portes nationales, véritables complexes portuaires et industriels (auxquels il faut ajouter les sites de Mohammedia et Jorf Lasfar pour le premier et Sidi Kerir pour le second), poumons de leurs économies respectives, ils sont les principaux ports d’hinterland de la zone. À côté de ces ports qui forment l’ossature portuaire de la région et qui se distinguent soit à l’échelle nationale soit à l’échelle internationale, l’extrême faiblesse des trafics tunisiens et la disparition des ports libyens de l’échiquier régional sont à signaler (Charlier, 2017). D’un côté, la Tunisie peine terriblement à se relever des années de révolution et du terrorisme islamique (notamment des attentats de 2015) ; de l’autre, l’économie libyenne, longtemps motrice dans la région, a été dévastée par l’intervention militaire internationale de 2011 et l’instabilité politique qui s’est ensuivie. Ces situations sont reflétées par l’effondrement des trafics portuaires.
Les enjeux de la logistique périportuaire
Visibles particulièrement en Égypte et au Maroc, des ports secs (positionnés dans les arrière-pays) et des espaces dédiés à la logistique apparaissent en périphérie des principales villes portuaires ; de nouvelles rocades et autoroutes urbaines permettent d’extraire les transports lourds des espaces urbains ; des normes (poids et taille des véhicules, restrictions d’horaires) sont imposées aux transporteurs souhaitant pénétrer les villes. L’exurbanisation des activités portuaires s’accélère dans un souci de décongestionner les villes, de fluidifier et d’organiser des flux marchands denses, composés en grande partie de biens en provenance de Chine et destinés aux arrière-pays nationaux. L’organisation des transports marchands en ville est ainsi un enjeu d’aménagement, davantage présent dans les agendas politiques. Là encore, l’exemple marocain est intéressant car le pays met en place une stratégie nationale de développement de la compétitive logistique portée par le ministère de l’Équipement et par une agence nationale dédiée, l’Agence marocaine du développement de la logistique. La stratégie nationale a pour vocation, à l’horizon 2030, de planifier 3 300 ha de « zones logistiques modernes » identifiées en concertation avec les acteurs locaux et les opérateurs de l’État (ONCF, SNTL, Agence nationale des ports, agences urbaines, etc.). En termes de planification, la stratégie nationale est pour l’instant portée par des projets autour de Casablanca (plates-formes de Zenata et de Mita) et de Tanger (plate-forme MedHub). Cette stratégie nationale renvoie à des objectifs de planification et de normalisation des infrastructures, de régulation des flux nationaux et internationaux dans un contexte marqué par une croissance économique et une insertion relativement réussie du Maroc dans la division internationale des processus de production.