Sur le plan démographique, les pays du Sud sont pour l’heure caractérisés par le poids relatif élevé de leur jeunesse. Mais dans la plupart d’entre eux, la proportion de personnes âgées devrait y augmenter rapidement et tous seront confrontés à un très important accroissement de leurs effectifs. Bien que constituant un ensemble hétérogène, les pays du Maghreb et du Moyen-Orient seront, eux aussi, confrontés au vieillissement de leurs populations. En Iran, pays où la transition démographique s’est notamment traduite par une chute spectaculaire de la fécondité depuis le milieu des années 1980, le vieillissement sera particulièrement rapide. En Égypte, le vieillissement sera moins marqué, mais constituera néanmoins un trait majeur du devenir démographique de ce pays au cours des trois prochaines décennies. Parallèlement, l’urbanisation massive, mais également multiforme, a contribué à la transformation des modes de vie. Dans ce contexte, vieillir en milieu urbain est une réalité en mutation soulevant de multiples interrogations comme l’illustre l’exemple des pays du Maghreb dont le vieillissement démographique, déjà bien amorcé, va notablement s’amplifier d’ici le milieu du siècle. La part relative des 60 ans et plus devrait plus que doubler en 35 ans seulement (de 2015 à 2050), passant de 8,9 à 23 % de la population totale en Algérie, de 10 à 24 % au Maroc et de 11,7 à 26,5 % en Tunisie. Les effectifs correspondants devraient, quant à eux, augmenter dans une proportion encore plus grande et passer de 3,6 à 13,2 millions de personnes de plus de soixante ans en Algérie (soit une multiplication par 3,6), de 3,5 à 11 millions au Maroc (soit un triplement) et de 1,3 à 3,7 millions en Tunisie (soit une multiplication par 2,8).
Caractéristiques plurielles de la ville
et conditions de vie des aînés
Comparativement au milieu rural, la longévité accrue rencontrée en milieu urbain est le reflet de meilleures conditions de vie pour les populations y résidant. Le différentiel d’espérance de vie entre milieux de résidence est marqué aux grands âges. Au Maroc, l’« Enquête nationale démographique à passages répétés » de 2009-2010 a ainsi permis de constater que l’espérance de vie à 60 ans des hommes est de près de 4 ans supérieure en ville : 21,3 ans contre 17,5 ans en milieu rural. Si l’écart d’espérance de vie à 60 ans est moins marqué pour les femmes, il est néanmoins bien présent : 22,7 ans en milieu urbain, 20,3 ans en milieu rural, soit une différence de 2,4 ans. Globalement, il est permis de considérer que les villes, en particulier celles ayant un rôle économique majeur (Casablanca, Rabat, etc.), offrent aux personnes âgées de meilleures conditions d’accès à différents biens et services et, surtout, à une offre plus complète de structures de soins, que les zones reculées. De plus, la part des personnes âgées percevant une retraite est également plus élevée en milieu urbain. En Tunisie par exemple, les résultats du « Recensement général de la population et de l’habitat de 2014 » indiquent que 64,3 % des personnes de plus de 60 ans perçoivent une retraite en milieu communal (urbain) contre 42 % en milieu non communal (rural). Au Maroc, les écarts entre milieux de résidence sont nettement plus marqués en matière de taux de couverture de la population âgée par une pension de retraite, les retraités citadins constituant l’écrasante majorité des retraités du pays, même si de fortes inégalités existent parmi les pensionnés.
Certaines caractéristiques des territoires urbains complexifient le rapport des aînés à la ville. Dans son rapport de 2015 sur les personnes âgées, le Conseil économique, social et environnemental du Maroc met par exemple en exergue le fait que l’aménagement urbain peut poser différentes difficultés aux personnes âgées en perte d’autonomie. Leur mobilité au sein de l’espace urbain risque notamment d’être entravée par des trottoirs en mauvais état et par un système de transports publics inadapté. Par ailleurs, bien que la ville offre potentiellement un meilleur accès aux services médicaux, leur accessibilité économique est loin d’être garantie en dépit de dispositifs visant à faciliter l’accès aux soins, telle la carte Chifa en Algérie (carte d’assurance-maladie de la sécurité sociale), ou bien à assurer celui des populations les plus en difficultés, comme le Régime d’assistance médicale (Ramed) au Maroc. Pour les ménages les plus fragiles économiquement, l’accès des personnes âgées aux infrastructures médico-sanitaires peut, en effet, être freiné par les dépenses, importantes au regard de leur budget, liées aux déplacements nécessaires, et ce alors même que les besoins en services de santé s’accroissent avec l’avancée en âge. L’urbanisation rapide s’est, par ailleurs, accompagnée d’une transformation de l’habitat. Les maisons traditionnelles ont laissé place à des constructions d’un ou deux étages (et parfois plus) permettant de disposer d’espaces « sécables » susceptibles de rendre compatible cohabitation intergénérationnelle et souhait de préserver autonomie et intimité, tant du côté des plus âgés que des jeunes adultes. Parallèlement, la multiplication des immeubles, le plus souvent sans ascenseurs, peut générer des difficultés croissantes lorsque s’aggrave la perte d’autonomie.
Chômage des jeunes
et cohabitation intergénérationnelle
Les solidarités familiales sont très présentes dans les pays du Maghreb. Elles concernent l’ensemble des générations qui peuvent apparaître, selon la nature de l’aide et les contraintes économiques des familles, receveuses et/ou pourvoyeuses d’aide. Le rôle des personnes âgées s’inscrit dans ce schéma. Loin d’être uniquement bénéficiaires d’aide au sein des familles, les aînés sont même souvent amenés à soutenir économiquement leurs descendants adultes dans un contexte où les jeunes citadins sont fortement exposés au risque de chômage et où les diplômes ne garantissent nullement l’insertion professionnelle. La fragmentation urbaine et les difficultés d’accès à des logements à coût abordable ont contribué à accroître le risque de précarité et d’exclusion sociale de très nombreux jeunes citadins. Aussi, la cohabitation intergénérationnelle, qui apparaît encore assez fréquente bien qu’en diminution, ne résulte-t-elle pas toujours d’un choix librement consenti de la part des individus, jeunes et moins jeunes, mais reflète davantage une forme d’adaptation au poids des contraintes économiques et sociales. Il peut en découler de fortes tensions en particulier lorsque les logements présentent une surface relativement exiguë au regard de la taille du ménage.
La ville, facteur d’exclusion socio-spatiale
des personnes âgées ?
L’espace urbain peut générer diverses craintes chez des aînés confrontés à un affaiblissement de leurs capacités locomotrices et/ou sensorielles. La densité de la circulation, l’encombrement et l’état des voies, des escaliers sans main courante ni appuis, constituent autant de facteurs susceptibles d’entraver l’accès des aînés à la ville. Celle-ci peut, par ailleurs, leur sembler illisible du fait de modifications de l’espace urbain, de rénovations ou démolitions survenues dans différents quartiers. L’absence ou l’insuffisance de bancs dans les grandes artères et les jardins publics, la rareté d’espaces de loisirs qui leur soient aisément accessibles, la présence en nombre important de jeunes inoccupés et parfois jugés irrespectueux envers les plus âgés, peuvent renforcer chez les aînés le sentiment que la ville devient pour eux un espace étranger, un « ailleurs brutal » ainsi que le souligne Amel Hammami-Montassar (2018) dans son analyse du rapport des personnes âgées à l’espace urbain en Tunisie. Il peut s’en suivre un repli sur le domicile et le quartier l’environnant.
Étudier le vieillissement en fonction des territoires permet de comprendre les termes dans lesquels se pose la question de l’adaptation des sociétés maghrébines aux changements démographiques à venir. Garantir aux personnes âgées, dans toute leur diversité, un accès serein à des espaces urbains pluriels doit être inclus dans l’équation, au même titre que l’évolution des systèmes de protection sociale.