Villes nouvelles – Une nouvelle capitale sans nom au Caire

C’est lors du Forum économique international organisé en 2015 à Charm al-Cheikh que le président Al-Sissi annonce la création d’une nouvelle capitale administrative à 45 km à l’est du Caire : l’objectif en est la résolution des problèmes de congestion et de pollution du centre de commandement. L’idée n’est pas nouvelle et fut l’un des mythes fondateurs du pouvoir de ses prédécesseurs. Nasser créa en 1958 Madinat Nasr, vaste quartier situé entre la ville-centre et la banlieue nord-est d’Héliopolis. Sadate, quant à lui, la plaça en 1977 à l’ouest, à mi-chemin entre Le Caire et Alexandrie et la baptisa de son nom, Sadate City. Les deux villes sont sorties du désert mais n’ont jamais joué le rôle de capitales tant souhaitées. La première est devenue l’une des banlieues résidentielles, plutôt aisée, du Grand Caire ; la seconde, une ville nouvelle parmi d’autres et qui peine à se remplir. Trois traits principaux distinguent ces anciens projets de l’actuel. Elles avaient un nom, faisaient partie de plans d’aménagement régionaux et nationaux et leurs conceptions furent confiées à des grands architectes : Sayed Karim pour Madinat Nasr, Marcel Breuer pour Sadate City. Or, la nouvelle capitale, initiée par Al-Sissi, est née orpheline, sans nom ni affiliation, sans limites précises ni plan d’urbanisme réfléchi, et sans architecte. La maquette exposée à Charm al-Cheikh en 2015 n’avait rien d’original, reproduisant des stéréotypes puisés dans d’autres modèles récents d’urbanisation tels que Dubaï.

On y trouve le palais présidentiel, le quartier des ministères, celui des ambassades, celui des affaires hérissé de gratte-ciel en verre et acier et les quartiers résidentiels dotés d’espaces verts. Le tout couvre une superficie de 70 000 ha, sept fois celle de Paris intra-muros, pour une population projetée de 6 millions d’habitants. Dans cette ville gigantesque, qui s’étend sur 90 km de long depuis le front urbain de la ville satellite de New Cairo jusqu’à la mer Rouge, tout est mis au superlatif : la plus grande mosquée, la plus haute tour d’Afrique (350 m), la plus grande cathédrale, le grand parlement avec un hémicycle pour mille députés et encore d’autres milliers de lieux de culte et d’établissements d’enseignement et de santé. Le coût de cette entreprise, estimé à 40 milliards d’euros, devait être supporté par des promoteurs émiratis et chinois. Ils se sont désistés tour à tour, laissant le financement de ce géant urbain à la charge de l’État égyptien. Ce projet pharaonique oppose des forces de modernisation outrancière à des résistances plus ou moins affirmées des conservateurs des valeurs culturelles et historiques. Mais, au moment où les grands équipements sortent du sable, l’étalement urbain de New Cairo arrive aux portes de la nouvelle capitale. Cette nouvelle donne annonce la naissance d’une conurbation monstrueuse qui posera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.


Auteur·e·s

El Kadi Galila, architecte/urbaniste, Institut de recherche pour le développement


Citer ce focus

El Kadi Galila, « Villes nouvelles – Une nouvelle capitale sans nom au Caire », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/focus/une-nouvelle-capitale-sans-nom-au-caire-galila/