Aussi bien en Tunisie que dans d’autres pays du monde arabe (Barthel, Jaglin, 2013), la réhabilitation des quartiers non réglementaires a constitué l’un des piliers de la politique de l’habitat et un puissant instrument de régulation en faveur des populations exclues du marché formel du logement.
Au début des années 1970, la reconnaissance par les pouvoirs publics des quartiers non réglementaires en Tunisie, comme forme de production de la ville, a permis la mise en place des premiers projets de développement urbain, avec l’assistance financière et technique de bailleurs de fonds extérieurs. La création, en 1981, de l’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine allait permettre de pérenniser ces projets. Après le changement de régime, en 1987, la situation politique et sociale s’est tendue dans les villes tunisiennes et la réhabilitation des quartiers non réglementaires représentait un enjeu de légitimation du pouvoir en place. L’État a donc massivement investi dans les projets du Programme national de réhabilitation des quartiers populaires qui avait pour finalité d’absorber les tensions sociales et les éventuelles contestations du régime en place, en garantissant l’allégeance des populations bénéficiaires envers les pouvoirs publics (Ben Jelloul, 2013).
Les politiques de « rattrapage », menées entre 1970 et 2010 par l’État tunisien n’ont cependant pas réussi à endiguer les effets d’exclusion par le marché foncier et immobilier des populations les plus précaires. Après les soulèvements populaires de 2011 et la perte de légitimité du pouvoir local, il y eut une prolifération de l’habitat non réglementaire à Tunis et dans les grandes villes tunisiennes. La réponse de l’État s’est traduite par une nouvelle génération de programmes de réhabilitation et d’intégration des quartiers populaires incluant une composante dédiée aux équipements socio-collectifs et industriels et prenant en compte la participation citoyenne dans la définition des projets de réhabilitation, ce qui augure de nouveaux modes de (re)faire la ville.
Mais, en dépit de leur relative efficacité, les programmes de réhabilitation menés en Tunisie ou dans d’autres pays arabes représentent des politiques de rattrapage d’une urbanisation qui échappe au contrôle des pouvoirs publics. L’émergence des quartiers non réglementaires illustre en effet l’inefficacité des politiques de la ville et l’incapacité de l’État à produire une offre accessible aux différentes catégories sociales. Même si elle permet d’assurer un semblant de justice socio-spatiale, la réhabilitation des quartiers non réglementaires ne fait que reporter la marginalisation des plus démunis vers des périphéries de plus en plus lointaines, l’espoir d’une régularisation ultérieure motivant ces laissés-pour-compte.