La crise des ordures à Beyrouth est une histoire qui mêle intimement le drame de l’accumulation de tonnes de déchets dans les rues de la capitale et les représentations qu’ont les Libanais de leurs hommes politiques, à savoir des « ordures », désignées et ciblées ainsi par la campagne civile #youstink [vous puez] née en juillet 2015, au tout début de la crise. Une rapide chronologie de la façon dont sont gérés les déchets à Beyrouth témoigne du processus qui a conduit à associer de la sorte les hommes politiques aux ordures. En effet, depuis 1975, les déchets de la capitale et de sa banlieue montagneuse sont entassés dans une décharge sauvage, Burj Hammoud, située au nord-est de Beyrouth qui, au cours des années de guerre civile, formera progressivement une montagne d’ordures. En 1997, la paix revenue, le gouvernement de Rafic Hariri adopte un plan d’urgence pour la gestion des déchets et crée un lieu « provisoire » d’enfouissement à Naamé, au sud de Beyrouth. Balayage, collecte, transport, enfouissement pêle-mêle des ordures : tout est délégué à une entreprise privée dont le contrat court jusqu’en janvier 2014. En 2015, ce dépotoir est définitivement fermé à la suite d’un sit-in et d’une mobilisation des riverains. Après une longue crise, il est rouvert exceptionnellement pour dix-huit mois, le temps de trouver une solution à long terme. Le pic de la crise des ordures a lieu durant cette période et, en 2018, la réponse gouvernementale consiste en un plan de ramassage et d’enfouissement des déchets, sans tri – et encore moins recyclage – sur le site côtier de Costa Brava, au sud de Beyrouth, tandis que la décharge de Burj Hammoud reste utilisée et croît encore.
La « crise des déchets » signifie ici arrangements provisoires et bricolages constants, témoins des dysfonctionnements chroniques de la gestion des services publics au Liban, à l’instar de l’électricité, l’eau, les routes, Internet, etc. Surtout, les ordures peuvent continuer à s’entasser sous les ponts, à flanc de montagne, mais aussi au fond de la Méditerranée en toute impunité et sans aucune forme de traitement, en dépit des atteintes définitives à l’environnement et malgré les nombreux avertissements et propositions des ONG, militants et entrepreneurs locaux. Sans doute les options gouvernementales s’expliquent-elles mieux lorsque l’on sait que ces milliers de tonnes d’ordures jetées en mer devraient servir à terme à bâtir des remblais littoraux où pourront s’édifier de mirifiques projets immobiliers…