Istanbul. Souvenirs d’une ville est un récit autobiographique d’Orhan Pamuk, paru en 2003 et traduit en français en 2007 (Gallimard). L’écrivain s’est vu décerner le prix Nobel de Littérature en 2006.
Istanbul. Souvenirs d’une ville est le récit des parcours du narrateur dans le centre et les premiers faubourgs de la ville ou le long des rives du Bosphore. Récit qui restitue l’atmosphère en noir et blanc de ses rues grises et de ses édifices en ruine, telle que l’ont fixée les photographies d’Ara Güler (1928-2018), photojournaliste turc d’origine arménienne, et qui dessine le paysage ordinaire de foules en mouvement et de tramways bondés, de migrants attendant sur le quai de Galata et de vendeurs de simit (petit pain aux graines de sésame).
C’est aussi le récit des temps de la ville : le temps long de l’histoire qui constitue le cadre de la vie quotidienne des Stambouliotes, visible dans son site et ses vestiges ; le tournant traumatique de la défaite de l’Empire ottoman et du déclassement d’Istanbul, à l’origine du sentiment de hüzün, cette tristesse mélancolique qui enveloppe les gens et les lieux et touche tous ceux qui y vivent ; la modernisation et la croissance désordonnées des dernières décennies, d’où résultent un paysage urbain hétéroclite et l’effacement de l’identité stambouliote.
C’est enfin le récit d’une quête de l’écrivain pour ressusciter la mémoire d’Istanbul en convoquant les paysages peints par Melling – architecte et peintre français (1763-1831), qui travailla plusieurs années à la cour de Selim III –, les relations des épistoliers urbains du XIXe siècle et les écrits des voyageurs européens, en bref, toutes les œuvres qui ont formé son regard sur la ville et nourri l’imaginaire stambouliote.
Dans cet imaginaire, le Bosphore occupe une place à part. Partie intégrante de la vie quotidienne par les vapür [ferries], le brouillard, le bruit des sirènes, le Bosphore est le lieu où convergent les regards de la ville – « les millions de fenêtres ouvertes pour [le] voir » – et d’où il se découvre, montrant sa silhouette, son désordre et les splendeurs d’un monde disparu. Le Bosphore est le lieu même où s’acquiert un regard décentré sur le monde puisque c’est par lui que l’Europe s’est infiltrée dans Istanbul grâce aux bateaux à vapeur et, en retour, le monde stambouliote dans le regard des voyageurs. Réunissant l’ici et l’ailleurs, il incarne l’identité indécise de la ville, entre Europe et Asie, et son ambition d’être à nouveau une ville-monde. Et si l’on cherche à oublier la tristesse de la ville et de la vie, « on peut toujours, en fin de compte, aller marcher du côté du Bosphore ».