Nation Estate, affiche, vidéo (9 min) et série de photos de la plasticienne Larissa Sansour, 2012.
« Mon pays est une valise », écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwich en 1970, un texte sur l’errance devenu l’hymne de tout un peuple. Dans Nation Estate, Larissa Sansour propose également une vision radicale, aussi audacieuse et ironique que terrifiante, de la Palestine. Dans un futur proche, la défaite politique et territoriale des Palestiniens s’incarne dans une immense tour, concentrant verticalement le pays et ses habitants.
Le bâtiment est relié en sous-sol avec l’aéroport d’Amman, seul lien physique avec le monde, d’où provient le personnage principal du film, incarné par la vidéaste, dont nous suivons les déplacements à l’intérieur de l’imposant édifice, univers froid et high-tech. Au rez-de-chaussée, les noms des villes de Palestine s’égrènent sur une plaque de marbre, ce sont les étages qui les accueillent désormais, où sont rassemblés les monuments emblématiques de chaque cité. Dans l’ascenseur qui la ramène chez elle, à Bethléem, une publicité vante le meilleur restaurant de sushis de la tour : Gaza Shore.
Sur la porte de l’appartement, une silhouette de clé lumineuse rappelle la place de cet objet dans l’imaginaire de l’exil ; il est le symbole des réfugiés palestiniens. À l’intérieur trône un olivier, autre emblème de la culture palestinienne et de la lutte pour la terre. Contraint de briser la dalle qui l’enserre pour pousser, l’arbre n’en est pas moins réduit au statut de plante d’intérieur. Une baie vitrée offre une vue panoramique sur la vieille ville de Jérusalem, elle permet aussi d’embrasser du regard le mur et les miradors qui emprisonnent la tour, comme un raccourci saisissant avec l’absurdité d’un présent qui n’est que préfiguration de la dystopie imaginée par l’artiste.
Présenté dans de nombreux festivals et expositions, le film a reçu plusieurs prix et figurait au catalogue de l’exposition Le Noir et le Bleu. Un rêve méditerranéen au MuCEM (Marseille) en 2013. Toutefois, en décembre 2011, les premières photographies du projet avaient fait l’objet d’une censure de la part de la marque Lacoste qui sponsorisait le Lacoste Élysée Art Prize du musée de l’Élysée de Lausanne. Les images, présélectionnées par le musée et le jury du prix, avaient ainsi été retirées du concours et du magazine Art Review qui devait les publier, sous la pression du sponsor qui aurait trouvé l’œuvre « trop pro-palestinienne ».