Loisirs – Les nuits de Beyrouth

In Beirut, we don’t get shot, we take shots. En 2011, le clip vidéo de Creative Agency livre une description des nuits de Beyrouth réactivant l’opposition usuelle entre ville chaotique et dangereuse d’une part, ville des plaisirs d’autre part. This is Beirut, this is White : réalisée pour la boîte de nuit éponyme, la vidéo agit par métonymie et explique qu’à Beyrouth, les habitants sortent en dépit de la conjoncture politique. Les scènes nocturnes sont une succession de danses endiablées, de foules compactes, de rangées de verres ou de bouteilles, de voitures de luxe. Ici, les noctambules aux allures « jet-setteuses » viennent déjouer les projections orientalistes et corroborent le discours sur l’exceptionnalité d’une ville construite sur les échanges, les circulations et la diversité. De telles séquences rappellent que la concurrence internationale entre les métropoles se joue désormais sur les activités de nuit, érigées en vitrine positive : Beyrouth se met en scène à travers les images et rebâtit la sienne.

Depuis, le White a fermé ses portes et de nouvelles centralités nocturnes ont émergé. Elles résultent d’une série d’ouvertures de bars et de boîtes de nuit, sous l’impulsion d’entrepreneurs pionniers qui évoluent dans un secteur économique peu réglementé. À Beyrouth, des espaces à l’origine peu animés se densifient rapidement par effet d’imitation. Sur quelques rues se juxtaposent des dizaines d’établissements donnant au paysage nocturne de la ville des allures d’archipels aux îlots denses de monde, de bruit et de lumières. À la faveur des effets de mode, les bars et les boîtes obéissent à un rythme d’ouverture et de fermeture soutenu. Leur géographie changeante éclaire en retour sur les recompositions des centralités urbaines de Beyrouth, imposées par l’éclatement de la guerre civile puis la reconstruction.

Espaces de pratiques partagées centrées sur la consommation d’alcool, la musique et la danse, ces territoires festifs reposent sur une dialectique constante entre mise en scène de soi et subversion morale et politique. Souvent, les règles de la performance sont maîtrisées : respect des modes vestimentaires, affichage de postures hédonistes, dépenses ostentatoires. Mais dans leur diversité, les nuits beyrouthines offrent une panoplie d’usages militants qui transgressent bruyamment les appartenances, qu’elles soient confessionnelles, politiques, sociales, de genre. Par des soirées de soutien ou des politiques inclusives, certains établissements se font ainsi le prolongement efficace des revendications d’une jeunesse exploitant, en mots comme en actes, la portée critique des nuits qui, à Beyrouth, sont faites pour être vu.

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Auteur·e·s

Bonte Marie, géographe, Université Paris-VIII


Citer ce focus

Bonte Marie, « Loisirs – Les nuits de Beyrouth », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/focus/loisirs-les-nuits-de-beyrouth/