En 2013, la tentative du gouvernement turc de détruire un parc public d’Istanbul, le parc Gezi, situé dans le quartier central de Taksim, afin de le remplacer par un centre commercial a provoqué des manifestations et contestations qui se sont propagées à d’autres villes du pays.
Au départ limitée à quelques centaines de personnes venues investir le parc pour y organiser une veillée, la contestation a attiré des milliers d’individus sur place, indignés par les images d’évacuation violente de ces militants par la police à 5 heures du matin, alors qu’ils se reposaient sous leur tente. Dans toute la Turquie, les manifestants ont envahi les rues. Les affrontements avec la police se sont poursuivis pendant plus d’un mois : six manifestants sont morts, huit mille personnes ont été blessées dont onze ont perdu un œil. Vers le milieu du mois du juillet, les protestations de rue se sont progressivement transformées en des forums de quartier créés spontanément dans les parcs publics des grandes villes de Turquie.
Les contestations trouvaient leur origine dans les projets urbains et de développement entrepris à grande vitesse depuis 2006 dans toute la Turquie. Ainsi, si la résistance est née de la volonté de la protection d’un parc public, ce n’est pas complètement le fruit du hasard. Elle renvoie également à la revendication d’utiliser l’espace urbain selon les besoins et les désirs des habitants et donc, plus largement, au droit à la ville. Les contestations organisées contre les politiques liberticides du gouvernement et la réponse répressive de ce dernier contre les tentatives de manifester lors de la Fête du Travail en mai 2013, de la destruction du cinéma historique d’Emek ou de la restructuration de la place Taksim s’inscrivent dans une lutte d’appropriation de l’espace.
Au-delà du caractère autoritaire du gouvernement, il est possible d’insister sur la nature néolibérale de la volonté de celui-ci de restructurer l’espace. En effet, depuis 2006, ne serait-ce qu’à Istanbul, plus de dix quartiers ont fait l’objet de projets de transformation urbaine. Dans chaque cas, ceux-ci ont été imposés « par le haut », sans aucun processus participatif, et ont abouti au déplacement forcé des habitants vers des cités construites par la TOKI (Administration des logements collectifs) à la périphérie de la ville, alors que le repeuplement de ces quartiers plus centraux était le fait des classes aisées.
La résistance pour préserver le parc Gezi est apparue comme une réponse emblématique et exceptionnelle, notamment par la diffusion contestataire imprévue qui s’est ensuivie, et ce bien au-delà d’Istanbul. Elle est devenue l’une des contestations exemplaires pour signifier que les habitants veulent également participer à la fabrique de leur ville.