Commerce de rue

Le commerce de rue est une réalité quotidienne dans les villes du Maghreb et du Moyen-Orient. Il s’agit sans doute d’une des activités les plus visibles de l’économie dite « informelle », puisqu’elle prend place dans tous les quartiers, des plus riches aux plus pauvres. Néanmoins, son ampleur est difficile à évaluer, tant en ce qui concerne le nombre de personnes exerçant cette activité que les revenus qu’elle dégage, les travaux scientifiques portant sur ce sujet étant encore peu nombreux et les sources statistiques inexistantes. Se définissant par les situations d’échange économique caractérisées par l’occupation temporaire ou précaire d’un espace de circulation ouvert au public, le commerce de rue est marqué par la dualité : entre formel et informel – absence ou non d’enregistrement légal ou fiscal –, entre mobilité et immobilité – vendeurs ambulants versus stands de rue fixes –, entre espace public et espace privé. Les transactions ambulantes exploitent ainsi les interstices urbains, tant spatiaux que sociaux.

Des objets et des pratiques

Les types de produits vendus sont très divers : fruits, légumes et autres produits alimentaires, parfois cuisinés sur place, artisanat, produits de récupération, fripe, crédit téléphonique, cigarettes, etc. Une grande partie des vendeurs et des vendeuses est aujourd’hui spécialisée dans les produits d’importation, pour certains contrefaits. Le commerce de rue s’est adapté aux changements socio-économiques et aux échanges internationaux, et a été gagné par la « mondialisation discrète », accompagnant ainsi l’essor du commerce transnational de produits de consommation courante entre Maghreb et Moyen-Orient et Asie du Sud et du Sud-Est depuis la fin des années 1990. Répondant à la demande des consommateurs les plus pauvres, s’adaptant également aux besoins immédiats d’une clientèle aisée et de plus en plus mobile, le commerce de rue demeure une activité de subsistance, voire complémentaire, pour une portion non négligeable de la jeunesse urbaine qui peine à trouver sa place sur le marché du travail. Les femmes sont également présentes, même si elles sont moins nombreuses, et se spécialisent plutôt dans certains produits, comme la fripe ou l’alimentation.

Le commerce de rue a connu dans la région un développement important depuis les vingt dernières années, en réponse à la fois à l’essor de la demande marchande et à l’augmentation du chômage. Plus récemment, les troubles politiques qui ont agité la région à compter de la fin de l’année 2010, connus sous l’appellation « printemps arabes », ont été à l’origine d’une augmentation importante du nombre et de la présence des vendeurs de rue dans les grandes villes, en particulier dans les espaces urbains centraux et les quartiers commerciaux les plus dynamiques. Ces petits vendeurs ont même parfois été aux premières loges de la contestation politique, par exemple en Tunisie, où l’immolation par le feu d’un jeune vendeur de rue de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, à la suite de la confiscation de sa marchandise par la police, a été un des éléments déclencheurs du soulèvement national fin 2010.

Les paysages urbains s’en sont trouvés profondément transformés. Les vendeurs de rue ont su profiter de la diminution de la présence de la police et de son moindre contrôle sur les espaces publics pour gagner des espaces jusqu’alors bien contrôlés et développer des activités de moins en moins mobiles. De véritables marchés sont apparus dans les artères et les allées commerçantes du très grand souk populaire du Mûskî au Caire, la police ayant déserté les rues à partir de 2011 et n’assurant plus alors le contrôle strict, parfois violent, marqué par le racket, la confiscation des marchandises et les déguerpissements des vendeurs de rue, qui était de règle avant la révolution. Les trottoirs du centre-ville moderne du Caire et les pourtours de la place Tahrîr se sont couverts de stands mobiles, les vendeurs proposant leurs produits aux manifestants durant la période révolutionnaire. Les couloirs du métro cairote ont vu fleurir les éventaires des vendeurs à la sauvette. Les rames du métro sont devenues des espaces de vente à la criée de carnets de coloriage, d’ustensiles de cuisine ou de chaussures, en particulier dans les voitures pour femmes. À Oran, en Algérie, les autorités de la ville n’ont cessé d’osciller entre éviction et tolérance du commerce ambulant dans les ruelles du marché populaire de Médina J’dida.

La rue : une ressource spatiale

Au Maroc, les ferrachas, nom donné aux vendeurs et aux vendeuses de rue, font partie du quotidien. Certains d’entre eux sont désormais des migrants originaires d’Afrique subsaharienne. Partis « à l’aventure » en direction de l’Europe, ils marquent un arrêt à Rabat ou à Casablanca, le temps de réunir la somme qui leur permettra de traverser la Méditerranée. D’autres sont de petits commerçants transnationaux, travaillant entre le Maroc et l’Afrique de l’Ouest et fournissant aux Africains, mais aussi aux Marocains, des produits exotiques (bijoux, tissus, cosmétiques). D’autres, enfin, sont des étudiants et des étudiantes qui complètent ainsi leurs revenus. Ces vendeurs et vendeuses africains doivent négocier leur place dans les espaces publics marocains : avec les autorités d’abord, comme à Rabat, où la municipalité les a autorisés à s’installer sur une portion de trottoir en échange du paiement d’un loyer ; avec les vendeurs marocains également ; ou encore avec les commerçants installés dans les boutiques devant lesquelles ils disposent leur table, qui ne voient pas toujours d’un bon œil leur présence. Pour tous ces vendeurs et vendeuses de rue, l’accès à la ressource spatiale est crucial, et les contraint à mettre en œuvre des stratégies discrètes, à la fois spatiales et sociales, pour accéder à la rue et s’y maintenir. Ils négocient ainsi au quotidien leur présence dans la ville.


Auteur·e·s

Bouhali Anne, géographe, Université de Picardie Jules-Verne


Citer la notice

Bouhali Anne, « Commerce de rue », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/commerce-de-rue/