Erbil est l’une des plus anciennes cités de la planète. Sa vieille ville, qui semble avoir été habitée sans interruption depuis le deuxième millénaire av. J.-C., se situe au sommet d’un tell (colline archéologique) qui domine la plaine environnante. Longtemps dans l’ombre de Mossoul, Erbil se développe surtout depuis que le Kurdistan d’Irak a accédé à une large autonomie. Nommée Hawler en langue kurde, elle est la capitale du Kurdistan irakien autonome depuis les années 1990.
Une ville secondaire
Située dans le nord de l’Irak, Erbil est une cité de la Mésopotamie ancienne (Arba-Ilou selon L’Atlas historique de Georges Duby). Sise au centre d’une vaste plaine céréalière, elle fait déjà partie, à cette époque, d’un réseau de cités qui formeront un des premiers royaumes connus : l’Assyrie. Sur les routes du commerce d’alors, entre Turquie et golfe Persique et Syrie et Iran, la future Erbil s’est maintenue autour de ses puissantes murailles de briques crues. Il ne reste aujourd’hui qu’une colline constituée de décombres archéologiques sur laquelle est construite la citadelle, toujours en briques de terre, qui date de l’époque ottomane. Cette ville haute, dominant la plaine de quelques dizaines de mètres, n’est plus habitée de nos jours, mais elle conserve toujours les ruines de plusieurs centaines de demeures dont certaines ont été rénovées récemment pour accueillir des activités culturelles (musées, centres culturels, etc.).
Très tôt, Erbil est christianisée et devient le siège d’un évêché lorsque l’islam se répand dans toute la région. La ville basse (appelée Kotrak), alors surtout peuplée par une population chrétienne, semble « sortir des murs » à l’époque islamique et atteindre son expansion maximale au XIIIe siècle avant de reculer sous les assauts des conquérants mongols. Au début du XIXe siècle, il n’y avait plus que quelques milliers d’habitants dans les deux parties d’Erbil. Les voyageurs orientalistes de passage à cette époque faisaient parfois mention de riches marchands dont on peut toujours admirer les demeures avec cours pavées et plafonds peints. Pourtant, à l’époque ottomane, Erbil demeure une ville secondaire dans la hiérarchie administrative derrière Mossoul, mais aussi Kirkouk et Sulaymaniyeh. Pendant cette période, la vie s’organise davantage dans la ville basse, plus peuplée. À la fin du XIXe siècle, Erbil comptait moins de 4 000 habitants.
De la planification radioconcentrique du XXe siècle
à l’étalement urbain des « dix glorieuses » (2004-2014)
Au cours du XXe siècle, c’est donc dans la plaine, au pied de la citadelle antique, que s’étendent les quartiers modernes : la ville se développe sur un plan radioconcentrique autour de son tell. Erbil devient une petite ville administrative et surtout un lieu important de casernement lors de la construction de l’État irakien. La guérilla kurde, active dans les montagnes à partir des années 1960, renforce son rôle de ville de garnison et de centre administratif : de nouveaux bâtiments, relais du pouvoir central, y sont implantés.
Durant les trois décennies de conflit entre les peshmergas [combattants] kurdes et l’armée nationale, Erbil reçoit des familles kurdes des campagnes voisines qui fuient les zones de guerre. Dans les années 1980, marquées par les opérations de l’Anfal (campagne militaire de l’armée irakienne contre les insurgés kurdes au cours de laquelle il a été utilisé des armes chimiques contre les populations civiles), de nombreux civils trouvent protection dans les villes toujours sous contrôle de Bagdad : Erbil, épargnée par les violences, devient attractive.
Le tournant a lieu avec la guerre du Golfe. Suite à l’opération Tempête du désert, les pays occidentaux (États-Unis, Grande-Bretagne, France) déclenchent, en avril 1991, l’opération Provide Confort pour protéger les populations civiles kurdes du nord de l’Irak de l’armée irakienne et créent une no fly zone au nord du 36e parallèle. En juillet 1991, de graves affrontements éclatent à Erbil et Sulaymaniyeh. À la suite de ces affrontements, l’armée irakienne se retire définitivement de ces deux villes difficiles à contrôler. De facto, le Kurdistan est autonome à partir de 1991. En 1992, Erbil accueille le parlement kurde ainsi que le gouvernement de la région autonome kurde (GRK) créée la même année et reconnue officiellement en 2005 par la constitution irakienne.
L’essor de l’activité pétrolière, du commerce régional et la forte attractivité liée à son niveau de sécurité dans un pays en guerre attirent à Erbil les investissements étrangers et les activités tertiaires. Les infrastructures se développent : aéroport, université publique (Salahedin) et plusieurs centres d’enseignement privés, grandes rocades circulaires selon un plan radioconcentrique, nombreux centres commerciaux et projets de grands ensembles résidentiels pour classes aisées.
L’autonomisation politique du Kurdistan se double d’un processus d’autonomisation économique : les autorités kurdes mettent progressivement la main sur les gisements pétroliers de la région et les exploitent directement sans l’accord de Bagdad. De grandes compagnies étrangères s’installent à Erbil (Total, Exxon, Carrefour). Plusieurs consulats étrangers y ouvrent une représentation. Entrepreneurs turcs et arabes profitent de la période 2004-2014 pour développer leurs activités et construire une ville à l’image de celles des pays du Golfe. La croissance est spectaculaire : Erbil devient un perpétuel chantier. Durant la décennie 2000, Erbil a certainement dépassé le seuil du million d’habitants (890 000 habitants en 2004, selon le World Food Programme).
Une ville d’accueil des déplacés et des réfugiés
des conflits
Depuis le retour de tensions régionales fortes en 2014, cette dynamique s’est largement ralentie. Les tensions avec Bagdad ont engendré l’arrêt temporaire du versement du budget de l’État à la région autonome qui servait à payer les centaines de milliers de fonctionnaires. La guerre civile irakienne et l’irruption de l’Organisation État islamique (OEI) aux portes du Kurdistan ont provoqué l’effondrement du fragile développement économique dont Erbil était la principale bénéficiaire.
Depuis 2014, Erbil a pourtant connu un accroissement important de sa population (alors même que son développement urbain s’est ralenti faute de financements) dont les migrants (internes ou étrangers ; forcés ou non) constituent certainement la principale dynamique. Déplacés et réfugiés (des Kurdes syriens surtout) se concentrent dans certains quartiers de la périphérie, là où s’étaient déjà regroupés les migrants internes issus de l’exode rural qu’avaient déjà rejoints des déplacés de la guerre civile des années 1980. Le coût de l’immobilier, mais aussi l’existence d’un marché de l’emploi informel, constituent les causes principales de leur implantation au sein de ces quartiers périphériques. À l’inverse, la plupart des grands appartements de luxe, nés de l’explosion des méga-projets, sont restés vides faute de salaires. Ces projets, généralement de hauts immeubles calqués sur ceux des villes du Golfe, devaient servir à attirer les investisseurs étrangers en faisant d’Erbil une métropole moderne et ouverte sur la mondialisation. Mis au point par des cabinets d’urbanistes libanais et financés par des partenariats entre grandes familles kurdes et riches investisseurs étrangers, les travaux étaient habituellement confiés à des entreprises de construction turques.
Durant la période de la guerre contre l’OEI, Erbil est devenue le point de passage et d’installation d’ONG internationales et de journalistes qui couvraient le conflit irakien. La présence de fonctionnaires onusiens et d’expatriés maintient le marché de l’immobilier à un niveau élevé malgré la crise économique liée à la reprise de la guerre civile et à l’effondrement du prix du pétrole ; à cela s’ajoute la perte des gisements pétroliers de Kirkouk, en octobre 2017, au profit de Bagdad, événement qui achève de miner le développement économique de la région. Erbil doit ainsi redéfinir ses objectifs de développement dans un environnement géopolitique qui l’a, tour à tour, avantagée avant de la plonger dans le marasme.