Koweït

Koweït, ville éponyme de l’émirat, forme une large conurbation qui, issue d’un petit port historique, n’a cessé de s’agrandir le long d’axes circulaires concentriques. Elle tire son nom du terme kut ou « fort », dont le diminutif serait Koweït et qui fait référence au seul bâtiment remarquable que le groupe de familles des Bani Utub, venu de la péninsule arabique au début du XVIIIe siècle, aurait trouvé en s’installant le long de cette vaste baie, au sud-ouest de l’embouchure du Chatt al-Arab. Mais le port a eu tôt fait, par la suite, de développer ses activités de commerce, de pêche, notamment perlière, et de construction navale, pour devenir au début du XXe siècle un véritable port-entrepôt à l’interface des réseaux de commerce maritime de l’océan Indien et des routes caravanières bédouines vers le Levant ou le cœur de l’Arabie.

Ville moderne, pionnière dans les pays du Golfe

Jusqu’au début de l’exploitation du pétrole, en 1946, la ville-port vit à l’abri de son mur d’enceinte. Les transformations des années 1950 selon le Master Plan de 1952, qui entend faire de Koweït une ville moderne, révolutionnent cette organisation : le cœur historique, décloisonné par la destruction du mur en 1957, est vidé de sa population, relogée dans de nouveaux quartiers résidentiels le long de boulevards périphériques et de voies radiales, et transformé en centre administratif et commercial (Central Business District). La structure de la ville, pensée selon le modèle britannique des villes nouvelles et basée sur l’usage de la voiture privée, sectionne les activités de la ville entre zone de travail dans le centre, zone de loisirs le long de la corniche, zone commerciale à Salmiya, zone industrielle et d’éducation supérieure à Shuwaikh et zones d’habitation. Dans la lointaine périphérie désertique, les Bédouins, sédentarisés sur le tard, et autres migrants en quête d’opportunités de travail dans l’émirat se logent, quant à eux, dans des zones d’habitat informel que l’État ne parviendra pas à éradiquer avant les années 1980. L’occupation des quartiers résidentiels se fait ainsi selon des logiques nationales que recoupent souvent des ségrégations professionnelles ou de genre. Le quartier d’Hawalli héberge ainsi la communauté palestinienne, qui sera expulsée dans sa grande majorité en 1991, sans jamais revenir ; ceux de Khaytan ou Farwaniyya concentrent la main-d’œuvre étrangère, en particulier égyptienne, composée principalement d’hommes seuls.

Dans les années 1970 et 1980, Koweït, émirat précurseur, indépendant dès 1961, soit une décennie avant les autres, fait figure de modèle de modernité et d’affluence. La ville de Koweït s’attache à façonner cette image, comme Dubaï, Doha ou Abu Dhabi le feront trois décennies plus tard, en faisant appel à des architectes internationaux de renom pour signer les fleurons de son architecture urbaine : la Banque centrale et les Tours de Koweït, toutes deux inaugurées en 1976, ou le bâtiment de l’Assemblée nationale koweïtienne créé en 1982 par le Danois Jørn Utzon, architecte à l’origine du célèbre Opéra de Sydney. Dans le registre de la compétition ostentatoire, le Koweït se dote d’infrastructures récréatives alors en pointe : en 1980, la première patinoire de la région, toujours en service ; en 1984, un parc d’attractions qualifié de « Disneyworld koweïtien » ; en 1988, Green Island, île poldérisée conçue comme aire de loisir.

Les suites du traumatisme de l’invasion irakienne
et la reprise de la croissance

Les destructions causées par l’invasion irakienne en août 1990, qui ont visé les symboles du pouvoir et de l’identité du pays, ont laissé des séquelles importantes sur le développement de la ville. À la suite de la libération du pays, Koweït vit pendant plus de dix ans dans la hantise de son voisin du Nord, alors même que ses concurrentes du Golfe s’ouvrent à la mondialisation et s’érigent en cités globales. Le traumatisme et la peur d’un retour des troupes de Saddam Hussein expliquent la pusillanimité des Koweïtiens à investir dans leur propre pays ; le troisième Master Plan de 1997 ne sera, par exemple, jamais mis en œuvre. À ces inhibitions, il faut ajouter le système parlementaire koweïtien, unique au sein des pays du Conseil de coopération du Golfe, qui donne aux députés un droit de regard sur les politiques gouvernementales, à défaut de lui donner la prérogative de former le gouvernement. Tout d’abord, alors que dans les autres émirats comme Dubaï, les familles royales ont la latitude d’octroyer aux promoteurs immobiliers des propriétés foncières à des prix très avantageux, le Koweït, dont la majeure partie des terres est propriété de l’État, a institué un système de build-operate-transfer (BOT) étroitement surveillé par le Parlement. Ensuite, ce dernier, représentant principalement les vues populistes de la classe moyenne fonctionnaire, a eu tendance à avoir une approche très méfiante envers les méga-projets de développement, qu’il accuse de profiter aux plus riches et d’être l’occasion de malversations et de corruption. C’est ainsi que Koweït, ancienne ville « spectacle de la modernité », a perdu de sa superbe et son statut de pionnière, et se trouve reléguée au second plan régional et largement dépassée par ses voisines du Sud.

Pourtant, la chute du régime baathiste, en 2003, et le rôle du Koweït dans les années qui suivent comme base arrière des armées qui interviennent en Irak et des hommes d’affaires qui s’y pressent dans leur sillage, à la conquête de marchés, redonnent un nouvel élan au développement urbain de Koweït. La décennie 2000 est ainsi marquée par un certain retour de la confiance, avec l’apparition d’une nouvelle skyline, faite de gratte-ciel de bureaux dédiés à la banque, la finance et l’immobilier, dans un centre d’affaires en pleine revitalisation. En 2004, la municipalité avait en effet décidé d’autoriser la construction d’immeubles de plus de soixante-dix étages.

La conurbation, englobant les quatre gouvernorats centraux (Capitale, Hawalli, Farwaniyya et Mubarak al-Kabir), comptait un peu plus de 1,5 million d’habitants en 2005, soit 70 % de la population du pays, composée à 60 % d’étrangers (General Population Census, 2005). Le reste de la population réside dans le sud, où se trouvent les principaux ports et champs pétroliers, à l’ouest, dans l’oasis de Jahra, et au nord. Voté par le Parlement en 2009, un plan national de développement, Koweït 2035, prévoit l’expansion de la ville en redéfinissant complètement la structure urbaine du pays, et vise le renouveau de son aura régionale. Il comporte la construction de plusieurs méga-projets, dont un nouveau port en eaux profondes, Mubarak al-Kabir, situé au nord de l’émirat sur l’île de Bubiyan, à la frontière irakienne, et la création ex nihilo d’une cité de la soie à Subbiya, du côté septentrional de la baie, reliée à Koweït par le pont Jaber al-Ahmad al-Sabah, long de 36 km, inauguré en 2019. Alors que la réalisation d’une partie de ces projets reste hypothétique, la réalité du développement urbain à Koweït est marquée par une tendance, relativement nouvelle pour l’émirat, à la privatisation des espaces publics et culturels, avec la construction de grands malls, tel The Avenues, ou de restaurants et hôtels de luxe s’appropriant le front de mer.


Auteur·e·s

Beaugrand Claire, politiste, Université d’Exeter


Citer la notice

Beaugrand Claire, « Koweït », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/koweit/