Contrairement à la majorité des petits émirats arabes du Golfe, le royaume de Bahreïn est un archipel de peuplement ancien. C’est là que les archéologues identifient l’emplacement de certains sites de l’antique Dilmoun, mentionnée dans les textes mésopotamiens comme une terre d’abondance. Par la suite, Bahreïn passe successivement sous la domination des Portugais (en 1521), des Safavides (en 1602) et de tribus arabes originaires de la péninsule arabique et menées par les Khalifa, qui conquièrent l’île, depuis Zubara au Qatar, en 1783. Contrairement aux Safavides qui avaient fait leur capitale d’une localité rurale, Bilad al-Qadim, les Khalifa installent d’abord le siège de leur pouvoir dans la ville de Muharraq, sur l’île du même nom, la plus petite de l’archipel, avant de le déplacer, en 1932, à Manama, qui restera la capitale de l’État indépendant en 1971.
Un port perlier polyglotte…
Au XIXe siècle, le sort de Manama, port perlier situé sur la côte nord-est de l’île principale, se lie à celui de la puissance impériale britannique, avec qui le cheikh de Bahreïn signe une série de traités de paix et de protection (en 1820 et en 1861). En 1900, les Britanniques y postent un agent politique et, en 1947, Manama devient le siège de l’administration coloniale pour l’ensemble de la région, avec le transfert de la résidence politique, jusqu’alors établie en Perse, à Bouchehr, sur l’autre rive du golfe Persique. Le port de Manama se développe grâce à la pêche des perles et au commerce, faisant office de plate-forme commerciale entre l’Inde britannique, la Perse des Kadjar et la Bassora ottomane : il sert d’entrepôt pour les biens destinés aux marchés de Perse, ou plus tard d’Iran, ou de la péninsule arabique. La ville se caractérise par son mélange de populations polyglottes, aux origines diverses (tribale, rurale), aux identités religieuses (sunnite, chiite), ethniques ou nationales (Arabes, Perses, Indiens) multiples et souvent complexes, à l’instar des Huwala, ces populations sunnites de la côte sud de l’Iran, dont la mémoire collective affirme qu’elles seraient issues de tribus de la péninsule qui n’auraient fait que revenir sur la rive occidentale du Golfe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Ses composantes socio-économiques sont variées, entre grandes familles marchandes et main-d’œuvre composée de nouveaux migrants, les différentes composantes étant liées par des liens de patronage, localisés à l’échelle de quartiers. Cette mixité urbaine, bien que segmentée, distingue Manama d’autres villes plus tribales, telle Muharraq, et des communautés rurales et agricoles de l’arrière-pays, comme Bilad al-Qadim, plus homogènes.
… devenu centre financier international
Alors que l’économie perlière s’effondre, notamment face à la concurrence des perles de culture japonaises dans les années 1930, et que les revenus du pétrole, découvert en 1932 au sud du pays, commencent à affluer, Manama, centre économique et commercial, renforce son rôle administratif et politique. Dans la décennie précédente, les Britanniques avaient en effet impulsé un train de réformes, dont la mise en place d’un cadastre, d’un système judiciaire, l’établissement d’un conseil municipal et d’une force de police. Ces réformes, en améliorant la situation des populations chiites rurales, soumises à des taxes et traitements discriminatoires, avaient suscité l’hostilité du cheikh Isa, déposé par les Britanniques, et de ses alliés tribaux ou marchands, et entraîné des heurts dans la ville, dont une grève générale du bazar en février 1922.
Sous l’autorité des Khalifa, conseillés par le Britannique Charles Belgrave, de 1926 à 1957, la ville se dote de bâtiments de prestige, tels que Bab al-Bahreïn, porte d’entrée monumentale vers le souk, faisant face à la mer, achevée en 1949. Son histoire est aussi marquée par des épisodes de mobilisation et d’agitation populaires intenses, dirigés contre la domination impériale autant que contre le pouvoir local autoritaire : en 1938, un mouvement pétitionnaire réclame la poursuite des réformes judiciaires et administratives, bientôt relayé par celui des ouvriers du secteur pétrolier (formation de syndicats ou fin de l’embauche préférentielle des étrangers). Entre 1954 et 1957, le Haut comité exécutif (renommé Comité d’union nationale), créé avec le but déclaré de dépasser les clivages confessionnels, organise manifestations, grèves et agitations de rue, parfois violentes, pour canaliser et exprimer les revendications sociales et politiques ou, comme en 1956 lors de la crise de Suez, un fort sentiment anti-impérialiste. Alors que les nouvelles activités pétrolières et industrielles se concentrent principalement dans le centre-est de l’île, la ville se dote, sur sa côte sud, en 1962, d’un nouveau port en eau profonde, Mina Salman, situé à proximité de la base militaire britannique reprise par les Américains lors de l’indépendance du pays en 1971 et qui héberge, depuis 1995, la Ve flotte en charge de la surveillance des eaux du Golfe et d’une partie de l’océan Indien. Le développement de nouveaux quartiers d’affaires (Diplomatic Area) accompagne la croissance du secteur bancaire et financier : Manama se forge une réputation de capitale financière régionale avec un cadre légal souple qui permet le développement de la finance off-shore et capte les capitaux accumulés lors du boom pétrolier de 1973 ou ceux qui fuient Beyrouth du fait de la guerre civile libanaise (1975-1990). Elle attire également les banques spécialisées dans la finance islamique.
Une expansion qui gagne sur la terre et sur la mer
La ville de Manama n’a cessé de croître, d’abord en incorporant les villages alentours, sunnites au sud (d’Adliya à Umm al-Hassam) et chiites à l’est (Al-Juffair), englobant de nouveaux territoires comme Seef à l’ouest, pour former un tissu urbain continu. En outre, elle s’est également étendue grâce à la poldérisation de l’ensemble des côtes est et nord. En septembre 2014, avant le redécoupage administratif, le gouvernorat de Manama comptait 516 717 habitants, soit 39 % de la population du pays, d’après le site Internet officiel Barhain Open Data Portal. Au nord, le Central Business District (CBD) a repoussé de plusieurs kilomètres la mer qui, jadis, jouxtait Bab al-Bahreïn et le souk de Manama, centre historique peuplé désormais de travailleurs du Sud-Est asiatique. Le CBD accueille les nouvelles tours d’architecture de verre, comme le Bahrain World Trade Center et le Bahrain Financial Harbour, qui hébergent le siège de banques, d’entreprises étrangères, ainsi que de vastes centres commerciaux. En février 2011, lorsque le vent de contestation qui souffle sur le monde arabe gagne Manama, les manifestants, qui entendent protester contre la confiscation des réformes promises par le souverain Hamad dix ans plus tôt, occupent le rond-point de la Perle situé sur la corniche et à proximité du BFH voisin, symbole de l’affairisme de la famille royale, qui cristallise la colère d’une partie des manifestants.
C’est aussi en gagnant sur la mer que Manama s’est imposée comme destination touristique de choix pour les habitants des pays du Golfe, à la suite de l’ouverture, à l’ouest de l’île, du pont qui la relie à l’Arabie saoudite en 1986. Tout le front de mer du nord de Manama, de Seef au quartier de Juffair, largement poldérisé, s’est couvert d’hôtels et d’immeubles pour expatriés occidentaux ou golfiens. Enfin, Reef Island et Bahrain Bay, presqu’îles artificielles en construction qui abritent ports de plaisance, quartiers résidentiels et espaces de loisirs, constituent les derniers grands projets emblématiques en date, destinés à attirer investisseurs et touristes internationaux.