Mossoul est la deuxième ville irakienne de par son poids démographique, soit près de 3 millions d’habitants selon les estimations des autorités irakiennes avant la guerre de 2014. Traversée par le Tigre, elle se situe dans le nord du pays, en Haute-Mésopotamie, l’une des régions du monde où le phénomène urbain a très tôt fait son apparition. La plaine de Mossoul correspond à l’ancien territoire agricole de l’antique Ninive, qui fut, un temps, capitale du vaste empire assyrien. Mossoul a été, durant la deuxième guerre civile d’Irak (2014-2017), une nouvelle fois capitale, mais cette fois d’un proto-état terroriste dominé par l’Organisation État islamique (OEI).
Une héritière des cités anciennes de Mésopotamie
La ville islamique de Mossoul s’est développée, à l’époque médiévale, sur la rive ouest du Tigre à quelques kilomètres de l’antique Ninive qui se trouve, quant à elle, sur l’autre rive du fleuve ; le site archéologique de Ninive se situe par conséquent dans les faubourgs orientaux de Mossoul. Ninive est dorénavant le nom de l’une des dix-neuf provinces irakiennes dont Mossoul est la capitale provinciale.
Contrairement à sa voisine Erbil, distante de seulement 75 km à l’est, Mossoul est une ville qui demeure fortement peuplée durant toute l’époque ottomane (60 000 habitants dans la seconde moitié du XIXe siècle). Elle conserve son rôle de ville importante de commerce entre la Syrie, la Turquie et le reste de l’Irak avec pour débouché le golfe Persique où les produits agricoles de son vaste hinterland sont écoulés. Mossoul, comme Damas et Alep, a longtemps conservé une vieille ville composée de nombreux bâtiments historiques, ainsi que d’un souk actif dans lequel étaient produits orfèvrerie, tapis, tissus divers comme les soieries et cotonnades dont les fameuses mousselines qui tirent leur nom de la cité.
Comme dans la plupart des villes de la région à cette époque, Mossoul est surtout habitée par des Arabes sunnites (populations syriennes autochtones converties depuis la conquête musulmane auxquelles s’ajoutent des Arabes descendants des premiers conquérants). De grandes tribus nomades arabes peuplent la région alentour (tribus Taï et Chammar essentiellement). Une importante minorité chrétienne, qui représentait à la fin du XIXe siècle certainement entre 15 et 20 % des Mossouliotes, est également présente dans cet ancien tissu urbain. Plus tard, dans le courant du XXe siècle, des populations issues des campagnes environnantes viendront s’installer dans les faubourgs de la ville, constituant ainsi un espace urbain de plus en plus multiconfessionnel, mais aussi fragmenté selon des clivages communautaires. Les Kurdes vinrent essentiellement occuper la rive est de la ville. Shabaks (minorité chiite), Yézidis et Turkmènes ainsi que des chrétiens de la plaine voisine s’installent également à Mossoul.
Une ville au cœur des tensions géopolitiques régionales
Mossoul rejoint l’Irak tardivement, en 1925, puisque tout le nord du futur État (indépendant officiellement en 1932) est convoité par les Turcs au lendemain de la première guerre mondiale. Un temps attribuée aux Français, la question de Mossoul, longtemps en suspens, trouve une solution lorsque la Société des Nations tranche en faveur des Britanniques. Ainsi, Mossoul ne sera pas rattachée à la Syrie sous mandat français, mais à l’Irak sous mandat britannique, dans un pays neuf créé par les Européens sur le modèle de l’État-nation où les chiites se retrouvent en majorité. Mossoul, la grande ville sunnite, va pâtir de cette situation.
La période baathiste des années 1960 fragilise l’équilibre des pouvoirs : l’arrivée à la tête de l’État de Saddam Hussein, un sunnite de Tikrit, est alors vécue par les Kurdes et les chiites comme un temps de marginalisation et de répression fortes, ce qui a comme conséquence de faire naître un sentiment de rancœur envers les sunnites. Le « retour de bâton » a lieu en 2003 lors de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine. Saddam Hussein est arrêté et le parti Baath interdit. Les chiites retrouvent le pouvoir à Bagdad. Mossoul, déconsidérée, marginalisée, délaissée par l’État, devient, en pleine guerre civile, une des places fortes de la résistance à Washington et à Bagdad au sein de laquelle groupes mafieux et groupes de combattants islamistes radicaux opèrent au grand jour. L’organisation terroriste Al-Qaïda s’y implante aussi alors que la guerre civile s’étend, poursuivant l’anéantissement du pays.
Mossoul devient l’une des villes les plus dangereuses d’Irak à partir de 2006 et ce jusqu’à l’arrivée de l’OEI. Enlèvements, assassinats, explosions, demandes de rançons sont alors pratiques courantes et résultent d’une gestion mafieuse de la cité par des clans locaux n’hésitant pas à s’associer avec les groupes islamistes les plus radicaux. Les liens avec Bagdad, déjà largement distendus, ne se résument plus qu’aux réseaux de corruption, chacun s’accommodant de cette situation. Prise en étau entre des élites corrompues et les forces de répression de l’État – perçues comme une armée d’occupation –, la population sunnite d’Irak tente de se soulever dès 2013 pour protester contre la discrimination du gouvernement central dirigé par Nouri al-Maliki. Mossoul participe au mouvement. La vague de répression organisée sera terrible, confirmant le ressentiment des sunnites d’être considérés comme des citoyens de seconde zone.
La période Daech et la destruction du centre-ville
Lorsque les djihadistes de l’État islamique s’emparent de la ville en juin 2014, c’est depuis Mossoul que le « nouveau califat » est proclamé. Ces combattants, dont beaucoup proviennent des régions sunnites irakiennes et par conséquent pour partie de Mossoul, sont identifiés par de nombreux Mossouliotes comme des libérateurs. Les corrompus sont arrêtés et exécutés en place publique et l’ordre rétabli dans un premier temps. L’OEI s’appuie sur les grandes familles locales, redistribuant salaires et postes à responsabilité. La liberté de culte est même garantie pour les « Gens du Livre » à condition de payer l’impôt de « protection » [jizya]. Les chrétiens de Mossoul préfèrent, quant à eux, l’exil et, de façon générale, c’est près d’un demi-million de personnes qui décident alors de quitter la ville.
La vie à Mossoul sous le joug des djihadistes devient dès 2015 un enfer : pris en otage par une milice qui applique une vision de l’islam ultra-rigoriste, les habitants n’ont guère d’autre choix que de collaborer ou de rester terrés chez eux. En octobre 2016, l’offensive militaire pour reprendre Mossoul est lancée par les forces irakiennes soutenues par une coalition internationale. La ville est peu à peu isolée du reste des territoires du « califat » après la reprise progressive des bourgs et des villages qui avoisinent l’agglomération (conquête du Sahel Mossoul pour les milices chiites et l’armée irakienne). L’assaut final se concentre dans un second temps, à partir de février 2017, sur Mossoul ouest, c’est-à-dire le centre historique de la ville, lieu symbolique d’où Abou Bakr el-Baghdadi, le « calife » autoproclamé de l’OEI, avait annoncé la création du « califat ». La bataille s’achèvera en juillet 2017 après la destruction d’une bonne partie de la ville : quinze quartiers totalement rasés, vingt-trois détruits pour partie et seize peu touchés. La partie occidentale de Mossoul (rive droite) est en ruine : c’est ici que les derniers djihadistes s’étaient retranchés. L’ensemble du patrimoine ancien est ainsi quasi totalement détruit.
Un an après la victoire militaire, le sort de Mossoul est au cœur des enjeux politiques qui minent l’État irakien post-2003. Reconstruire la plus grande ville majoritairement sunnite du pays et reloger ses déplacés constituent un défi qui déterminera leur place dans l’Irak de demain, et c’est ce qui dessinera, de manière plus ou moins appuyée, les futures lignes de tension.