Sport

Du Maghreb à l’Iran, le sport se définit par les mots riyyadda en arabe et warzish en persan. En arabe, ce terme a pour signification principale l’idée d’entretenir son bien-être, il est en effet issu de la racine radd [satisfait] : il s’agit de satisfaire les besoins de son corps par la pratique d’une activité physique. En persan, le sens est davantage centré sur l’aspect de la force à la fois physique et mentale : warzish est issu du verbe warzidan qui se définit par le fait de faire beaucoup d’exercice afin de renforcer son esprit et son corps. De nombreux sens sont, aujourd’hui, sous-jacents à ce mot « sport ». Du sport comme pratique occasionnelle, de tout un chacun, à la pratique du sport professionnel, utilisé parfois dans les stades par les pouvoirs comme espace de construction de l’unité étatique ou, au contraire, par des groupes d’opposants comme un espace de diffusion d’idées contestataires, dans les villes du Moyen-Orient et du Maghreb, le sport se vit et se pratique sous différents angles.

La ville et le sport dans l’histoire

Historiquement, du Maghreb au Moyen-Orient, le sport a longtemps été incarné par la force physique de l’être humain et par l’emploi d’animaux rythmant le quotidien des habitants de ces différentes régions. À la fin du XIXe et au cours du XXe siècle, l’influence colonisatrice et commerciale des puissances mondiales que sont alors le Royaume-Uni et la France a peu à peu modifié le tissu sportif de cette aire géographique. Dans ce cadre, les villes ont joué un rôle majeur dans la pénétration de ces nouvelles cultures sportives du colonisateur (football, squash, rugby, cricket, pétanque). Les villes portuaires et de pouvoir ont été particulièrement centrales dans cette diffusion. L’arrivée des Britanniques, en 1882, sur les côtes égyptiennes marque l’essor du football dans les rues et places d’Alexandrie et de Port-Saïd, puis du Caire. En Iran, l’expansion de ce sport se réalise, au début du XXe siècle, via les écoles missionnaires, l’industrie pétrolière et les corps diplomatiques (Chehabi, 2002). Par ce biais, d’Ispahan à la ville d’Abadan, l’ensemble de la société urbaine va assister aux premières parties de football jouées par les expatriés occidentaux. Au Maroc, les colons et militaires français participent également à ce mouvement d’expansion par les villes. Le premier match de football se serait déroulé en 1913, entre colons de Meknès et de Fès. Cette même année, la ville de Casablanca voit la création d’un des clubs phares de l’époque du protectorat, l’Union sportive marocaine de Casablanca. Par son ouverture sur le monde, la ville de Casablanca reste ainsi majeure dans la diffusion de ce sport. La ville joue, aujourd’hui encore, un rôle moteur dans la diffusion de nouvelles pratiques sportives. C’est au cœur de l’espace urbain qu’elles se font jour. L’arrivée du hockey sur glace sur les côtes du Golfe dans les années 1990, sous l’impulsion des expatriés nord-américains, en témoigne.

Le stade, espace d’unité et de contestation

Dans nombre de pays du Maghreb et du Moyen-Orient, le stade est un espace apprécié par les régimes autoritaires dans la construction de l’unité nationale autour de la figure du chef d’État et de la famille régnante. Au Qatar, la famille régnante – ainsi que les familles proches du pouvoir – conçoit le stade comme un espace de construction des imaginaires nationaux autour de l’émir. Celui-ci, situé dans un fauteuil au centre de la tribune présidentielle, est souvent filmé et, lors des cérémonies d’ouverture, pour orchestrer l’historiographie et les symboles de la nation, le pouvoir choisit des réalisateurs occidentaux réputés. L’objectif est de donner de la profondeur historique à la famille régnante et ces moments sont consacrés aux grandes dates qui ont participé à la formation de l’État du Qatar autour des Al-Thani. Le procédé s’appuie sur des symboles identitaires, en insistant principalement sur le passé bédouin et marin du peuple qatarien, puis sur la découverte des hydrocarbures qui marque un nouveau temps. Ces cérémonies sont bâties sur une dualité entre « gloire » passée et avenir « brillant ».

Dans le même temps, par sa forme arrondie ou rectangulaire, le stade est parfois redouté par les régimes qui le perçoivent comme un espace de rassemblement, duquel une possible contestation pourrait surgir. L’Égypte en est un exemple. Dans les années 2000, l’émergence autour des deux clubs emblématiques du Caire, Al-Ahly et Zamalek, de groupes de supporters, les Ultras, va peu à peu politiser les tribunes des stades. Ces groupes, qui ne sont au début qu’apolitiques, voire « antipolitiques », s’inspirent de l’organisation des supporters européens tout en s’ancrant dans le paysage politique national, en défendant des idées anti-autoritaires et de lutte contre la corruption. En réaction à ces mouvements qui s’opposent à la violence du régime, les forces de sécurité procèdent à plusieurs reprises à l’arrestation de leurs leaders pour tenter d’enrayer leur essor. Cette répression participe à la politisation de ces groupes, encore renforcée par les événements révolutionnaires de 2011 lors desquels de nombreux membres jouent un rôle de protection de la mobilisation des manifestants. Le système issu de l’ère Moubarak redoute ces acteurs qui ont gagné en légitimité auprès d’une partie des Égyptiens ayant souhaité le changement. C’est ainsi à dessein que les gens liés à l’ancien système étatique ont poursuivi leur lutte contre les Ultras par des actes ciblés en 2012 et 2015. Dans la foulée de ces événements, le régime a décidé de faire jouer les matchs nationaux à huis clos. Le stade comme espace des contestations disparaît. Ces groupes restent cependant visibles dans l’espace urbain et, recourant au graffiti, ils utilisent désormais les murs du Caire pour relayer leurs messages.

Gagner en visibilité et en attractivité par le sport

Depuis le milieu des années 1990, à l’échelle mondiale, le sport a pris une tout autre envergure. Il est devenu un véritable phénomène de société. Dans le même temps, de la part des pays du Conseil de coopération du Golfe, dans un contexte d’après-deuxième guerre du Golfe et d’après-contre-choc pétrolier, les gouvernants des cités-États souhaitent gagner en visibilité sur la scène internationale. Au début de la décennie 2000, le sport spectacle est développé essentiellement autour de la ville dans l’objectif de créer un « urbanisme d’images » (Augustin, 2008). Les événements sportifs se déroulent au cœur de la ville, dans des quartiers qui sont pensés pour refléter une image planétaire. De plus, l’évolution des technologies de retransmission des événements sportifs renforce cette opportunité de créer une image de marque à partir d’une ville et de son nom. Dubaï, Doha et Abu Dhabi conçoivent ainsi leurs événements sportifs en les inscrivant au centre de leur paysage urbain. L’hôtel icônique Burj Al-Arab de Dubaï est désormais identifié aux échanges de Roger Federer et d’André Agassi sur son héliport. Pour sa part, le Qatar relaie les différents sites attractifs de Doha à travers le fil d’une partie épique entre Roger Federer et Rafael Nadal commençant sur un terrain amphibie devant la skyline de Doha, puis se prolongeant dans l’amphithéâtre du nouveau quartier culturel de Katara pour se terminer, enfin, dans les allées du Souk Waqif, entièrement restauré dans les années 2010. Et encore, Abu Dhabi inaugure, en 2009, son Grand Prix de Formule 1 sur l’île de Yas, un nouveau quartier exclusivement dédié aux divertissements. Les gouvernants mettent ainsi leur ville en récit. Par le prisme sportif, ces villes existent aux yeux du monde en ayant de plus en plus une signification de modernité et d’ouverture.


Auteur·e·s

Le Magoariec Raphaël, géographe, Université de Tours


Citer la notice

Le Magoariec Raphaël, « Sport », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/sport/