Transports

Circuler et se déplacer dans les grandes villes du Sud et, en particulier, celles du Maghreb et du Moyen-Orient est parfois une gageure au regard de l’état des trottoirs pourtant empruntés par de nombreux piétons ou de la vétusté des transports collectifs. Pourtant, le secteur des transports a connu des modernisations importantes, mais celles-ci ne se sont ni retrouvées partout, ni pour tous.

Se déplacer en ville

Dans les grandes villes du Maghreb et du Moyen-Orient, la densification, l’étalement urbain et le polycentrisme associés à des services publics souvent défaillants contribuent à complexifier les mobilités et les circulations intra-urbaines et accroissent la pression sur des systèmes de transport débordés. La multitude des services de transport proposés par de petites entreprises, majoritairement artisanales et/ou informelles (taxis, touk-touk, bus et minibus), ne parvient pas à répondre efficacement à la demande (Mareï, Ninot, 2018). Dans ce contexte, les classes moyennes demeurent très attachées à la mobilité automobile, tandis que les classes populaires, qui empruntent largement les transports en commun, subissent fortement l’inorganisation des services, de Tanger à Beyrouth, en passant par Alger, Tunis, Alexandrie… L’intermodalité est, comme dans de nombreux pays des Suds, imposée aux usagers, parce qu’elle est peu hiérarchisée et peu intégrée (Diaz Olvera et al., 2016). Elle rend alors les déplacements longs et pénibles et ne contribue ni à réduire les embouteillages, ni à diminuer le temps de marche à pied de nombreux citadins.

Le développement de transports en site propre apporte pourtant une modernisation importante à ces dispositifs. Le métro du Caire, mis en place à la fin des années 1980, est le plus ancien réseau ferré métropolitain du monde arabe ; au même moment, Istanbul inaugurait la première ligne d’un réseau qui en compte désormais six ; les travaux engagés en 1995 à Téhéran ont abouti à l’ouverture d’une première ligne en 1999 et sept sont fonctionnelles en 2019 ; Dubaï et Alger ont ouvert les leurs en 2011. Il faut encore signaler le métro de La Mecque qui fonctionne depuis 2010, alors que celui de Djeddah est en construction. Des lignes de tramway modernes ont également été ouvertes récemment en Algérie (Alger, Oran, Constantine) et au Maroc (Rabat, Casablanca) après – comme en Europe – un démantèlement des premières lignes datant de la période coloniale. Ces réseaux ferrés métropolitains, parfois denses et anciens à l’instar de celui d’Istanbul, constituent des avancées importantes pour la mobilité urbaine, même si leurs capacités demeurent limitées face à une demande forte et même si les projets se font généralement sans une réflexion globale sur comment mieux intégrer croissance urbaine et transports des personnes.

Circuler entre les villes

La circulation entre les villes, par la route, a largement pris le pas sur le rail, parent pauvre du transport, comme dans de nombreux pays en développement. Elle a bénéficié partout de programmes de développement de routes et d’autoroutes financés par les États et par des institutions internationales et régionales. Le projet d’un corridor autoroutier méditerranéen reliant Tanger au Caire est soutenu par le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique et est décliné aux échelles nationales. Il est par exemple retrouvé sous le nom « rocade méditerranéenne » au Maroc : la route permettant de relier Tanger à Saïdia à la frontière algérienne est entièrement bitumée depuis 2012 et participe plus largement à un programme de désenclavement du Rif (Troin, 2002). Le projet transnational panarabe est, quant à lui, plus incertain du fait de la fermeture de la frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie depuis 1994 et du chaos libyen depuis 2011.

Il faut encore évoquer ici l’arrivée du TGV au Maroc qui marque un tournant dans le développement économique du pays. La relative stabilité dont a fait preuve le Maroc dans la décennie 2010, plus mouvementée pour les autres pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, a permis l’investissement international de tous types et la mise en œuvre de nombreux projets. La ligne à grande vitesse Tanger-Kénitra en est une vitrine, tout comme la modernisation des gares ferroviaires (Baron, 2017). Le TGV marocain est entré en service fin 2018 et a mis Casablanca, reliée à Kénitra par une ligne conventionnelle, à deux heures de Tanger. Il est présenté comme un projet de transport durable et d’aménagement du territoire national.

En définitive, les grands projets interurbains ne manquent pas au Maghreb et au Moyen-Orient et on circule de plus en plus vite entre les grandes villes. Le plus difficile demeure d’accéder aux grandes périphéries et aux espaces ruraux souvent complètement oubliés des projets d’infrastructures de transport.

La logistique, nouvel enjeu urbain

La logistique urbaine connaît, elle aussi, des réorganisations majeures visant à la rendre plus efficace et à redéployer hors de la ville les principales activités de fret pour répondre, notamment, à des problèmes de congestion et de sécurité et pour réorganiser la distribution depuis le cœur des villes jusqu’aux aires métropolitaines. Là encore, l’exemple marocain est intéressant du fait de la mise en place d’une planification nationale de la logistique et du pari sur une meilleure gestion des flux marchands, en particulier du Grand Casablanca. En effet, les transformations dans la capitale économique du royaume sont visibles avec la mise en place de plates-formes et d’entrepôts aux standards internationaux en périphérie de la ville. Ils ont vocation à centraliser la distribution urbaine, notamment celle des grands groupes du secteur ; la grande distribution y est présente de façon croissante et participe à cette évolution des logistiques nationale et métropolitaine. Ces transformations du secteur vers une plus grande normalisation n’effacent pas les dessertes urbaines traditionnelles, situées au cœur des villes et basées sur des marchés de gros et demi-gros comme Derb Omar à Casablanca où camionnettes, triporteurs et poids lourds encombrent les rues commerçantes, où entrepreneurs et ménagères viennent s’approvisionner en produits bon marché provenant généralement de Chine (Qacha, 2015). Les transformations du secteur des transports et de la logistique au Maroc, la dualisation de ce dernier, entre normalisation et maintien des formes traditionnelles, posent de nombreuses questions d’urbanisme et d’aménagement métropolitain. Des transformations similaires ont lieu ailleurs dans le monde arabe, mais les avancées du Maroc en la matière donnent davantage la perspective d’une comparaison avec des pays dits « émergents » (par exemple le Mexique et la Chine) qui ont misé sur la modernisation de ces secteurs pour leur développement économique et territorial.


Auteur·e·s

Mareï Nora, géographe, Centre national de la recherche scientifique


Citer la notice

Mareï Nora, « Transports », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/entry/transports/