Tripoli d’Occident [Trablus al-Gharb] comptait en 2011 environ 1,8 million d’habitants. Si elle a, depuis, perdu une partie de sa population, en raison des bombardements de 2011 puis de la fuite de centaines de milliers de travailleurs étrangers – Tunisiens, Égyptiens, Palestiniens, Marocains, mais aussi Serbes, Maliens, Sénégalais, Nigériens, Philippins – et de Libyens, elle demeure la principale ville de Libye et, malgré les divisions politiques et territoriales contemporaines, sa capitale.
Héritages antiques et médiévaux
L’espace urbain est marqué par la forte prégnance d’une structuration issue de la cité phénicienne, puis romaine, Oea. Les axes majeurs de l’urbanisme antique, cardo (axe nord-sud) et decumanus (axe est-ouest), constituent les éléments d’articulation essentiels du cœur de la ville jusqu’à nos jours. Tripoli est ainsi l’exemple d’une ville médiévale islamique (la ville est conquise en 643) à partir de laquelle la thèse, souvent reprise pour le monde méditerranéen, de la dissolution de l’urbanisme ancien dans des logiques présentées comme segmentaires et labyrinthiques peut être discutée de manière critique. La ville médiévale s’organise à l’intérieur de ses murs autour de quartiers, fréquemment mixtes d’un point de vue ethnique et confessionnel, dédiés aux différents métiers et au commerce. La ville, un des points maritimes les plus méridionaux en direction du Sahara, sert d’interface entre l’économie portuaire et les routes caravanières. Elle reçoit de nombreux Andalous musulmans et juifs chassés par la conquête chrétienne de la péninsule ibérique.
La nature de la ville ottomane
Après une période d’occupation espagnole, suivie de celle des chevaliers de Malte, la ville est intégrée en 1551 à l’Empire ottoman. Les réseaux marchands qui dominent la ville et son commerce, en liaison avec les autres grands ports de Méditerranée, trouvent ainsi protection et cohérence. À l’époque ottomane, la ville s’étend en partie en dehors de ses murs. Elle reste administrée par ses notables, marchands et commerçants, qui siègent au sein d’un conseil civique local [jama’a al-bilâd] incarnant une forme de municipalité d’ancien régime. Elle est dirigée par un de ces notables, issu de l’assemblée, le cheikh al-bilâd ou chef de la ville. Le chef de la communauté juive [cheikh al-Yahûd], qui représente environ un tiers des habitants à l’époque ottomane, est membre du conseil civique urbain. De 1711 à 1835, Tripoli est dominée par une dynastie locale, celle des Qaramanli, tout en restant dans l’Empire ottoman. De grandes opérations d’urbanisme, menées en concertation entre les notables locaux et l’Empire, notamment autour de la construction d’un grand marché [Suq al-Turk], transforment le tissu médiéval. Face à la menace coloniale, matérialisée par l’occupation de l’Algérie ottomane par la France à partir de 1830, Istanbul reprend une gestion directe en 1835. Entre les années 1840 et 1870, la municipalité est modernisée dans le contexte des réformes ottomanes (Tanzimât). Elle devient le cœur d’un important programme de travaux publics (hôpital, urbanisme d’extension et de régularisations foncières, écoles, orphelinat). Elle incarne aussi un nouveau pacte d’appartenance entre la structure impériale et les élites locales.
La ville coloniale
À la suite des guerres balkaniques de 1911, et malgré la résistance locale et celle de l’armée ottomane de Mustafa Kemal, la ville passe sous domination coloniale italienne. Elle est l’objet d’un plan régulateur orientant son extension et planifiant la construction d’une ville coloniale au contact de la ville héritée. Sous le fascisme, la ville devient la vitrine de l’idéologie africaine du régime. Une immense cathédrale est construite en 1923. Le bord de mer est réaménagé. Les principaux architectes du fascisme dotent la ville de monuments et services publics traduisant l’idéologie du régime, entre style rationaliste et déclinaisons néo-mauresques.
Urbanisme, société urbaine et projet révolutionnaire
En raison d’une période d’administration coloniale britannique, qui a notamment vu l’exode de la majeure partie de la population juive consécutif à de graves épisodes de violence, Tripoli devient, en 1951, la capitale de la Libye indépendante. Grâce à l’émergence de l’économie pétrolière au tournant des années 1960, la ville connaît une forte croissance démographique et de grands travaux d’infrastructure transforment son paysage. Sous le régime du colonel Khadafi, à partir de 1969, Tripoli est l’objet d’ambitieux programmes de modernisation. De nombreux logements sociaux sont édifiés ainsi que des équipements culturels, de santé et techniques, dont la conception est confiée notamment à des experts est-allemands. Le planétarium, construit par l’architecte Gertrud Schille, compte parmi les réalisations de prestige. Tripoli est le siège de l’essentiel des organes de l’État, malgré la création formelle d’une capitale alternative, Sebha. Dans le contexte d’affrontements entre la Libye et les États-Unis incluant des actions terroristes, la ville subit en 1986 de graves bombardements américains, puis les conséquences de l’embargo international sous lequel sera placée la Libye à partir de 1992. En 1996, l’eau des gisements fossiles du Sahara alimente la ville grâce à d’énormes travaux d’infrastructure : la croissance urbaine s’accélère et la qualité de la vie s’améliore. Dans les décennies 1990 et 2000, l’idéologie du régime intègre peu à peu la dimension patrimoniale. La médina est protégée et restaurée.
La ville en guerre
Dans le contexte d’une protestation contre le régime à Benghazi et à la suite de la déstabilisation menée depuis cette ville par des milices islamistes, soutenues par des pouvoirs étrangers, puis à la guerre qui s’est ensuivie, Tripoli est massivement bombardée par une coalition internationale coordonnée par l’OTAN en mars 2011. Ces bombardements français, britanniques, américains, canadiens, belges, émiratis et qataris essentiellement font des milliers de morts dans la population civile. De nombreux équipements civils sont ciblés. La chute du régime qui s’ensuit livre de facto la ville à des milices islamistes et djihadistes qui font régner un ordre de terreur et pratiquent une violente épuration ethnique, à l’encontre, notamment, des populations sub-sahariennes. Les migrants établis en ville fuient en masse. Les femmes sont aussi particulièrement visées par ce nouvel ordre, victimes de nombreuses violences sexuelles et de l’établissement de normes rigides d’habillement et de comportement. La géographie urbaine de Tripoli est segmentée par de nombreux check-points aux mains des milices, souvent parrainées plus ou moins explicitement par des pouvoirs étrangers. Le contrôle de Tripoli demeure un enjeu pour les grandes factions politiques prétendant à la domination sur le pays tout entier. À partir de 2016, l’Italie négocie directement avec les milices islamistes et djihadistes la régulation des routes migratoires méditerranéennes vers l’Europe. En l’absence de sécurité, la plupart des projets urbains ont été suspendus. Les hypothèses de transformation de l’espace urbain de Tripoli, sur le modèle de Dubaï, qui avaient été émises par divers investisseurs dans les années 2010 sont à l’arrêt.