Stratégiquement située au nord-est de la Tunisie et aux abords de la mer Méditerranée, carrefour des flux et échanges commerciaux avec l’Europe, Tunis est fondée en 698 par Hassen Ibn Noômane et a connu depuis une succession de conquêtes jusqu’à l’indépendance du pays en 1956. Nichée sur une colline de 48 m de hauteur, la ville est protégée, à l’est, par une lagune de faible profondeur et, à l’ouest, par les falaises du Sijoumi. Elle ne deviendra capitale qu’en 1159 et connaîtra son essor urbanistique au XIVe siècle, sous le règne des Hafsides, dynastie d’origine berbère.
Un centre de commandement politique et économique
Capitale politique et économique, Tunis fait partie d’une entité territoriale à laquelle elle est souvent assimilée, à savoir le Grand Tunis, composé de quatre gouvernorats, Tunis, L’Ariana, Ben Arous et La Manouba, et de trente-quatre communes. Il s’étale sur près de 260 000 ha et compte 2 649 000 habitants, soit le quart de la population totale de la Tunisie en 2014, avec un taux d’urbanisation qui atteint 89 %. Le Grand Tunis concentre par ailleurs 25 % des emplois, avec une prédominance du secteur tertiaire (près de 60 %) et attire plus de la moitié (54 %) des investissements directs étrangers du pays. Outre les sièges du pouvoir exécutif et législatif, ceux des ministères et des administrations publiques, Tunis abrite les principaux équipements d’envergure nationale et internationale, les hôtels d’affaires et les bureaux des multinationales. Dotée d’infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires performantes, la capitale aspire à un rôle de plate-forme d’échanges économiques entre les pays de l’Europe et ceux de l’Afrique.
Une extension urbaine vers la périphérie
Depuis l’indépendance, le Grand Tunis a connu des mutations, fruits de politiques urbaines successives qui correspondant à des modèles de développement économiques distincts. La priorité était alors donnée à la construction de l’État-nation et à la modernisation de la capitale, avec un effort soutenu axé sur les infrastructures routières et la promotion des industries à la périphérie sud de la capitale. La création, dans les années 1970, des premières institutions dédiées aux enjeux fonciers, à la construction de logements et au drainage de l’épargne privée a induit une reconfiguration de l’espace tunisois, avec une extension en périphérie au détriment des terres agricoles (Chabbi, 1986). Dans ce contexte, caractérisé par la prédominance de l’intervention de l’État, la croissance urbaine a revêtu trois formes. La première est celle des « fronts d’urbanisation », extensions périphériques de la première couronne, qui sont essentiellement le fait des opérateurs publics, tels que l’Agence foncière d’habitation, l’Agence foncière industrielle, la Société nationale immobilière de Tunisie et la Société de promotion des logements sociaux, les acteurs privés et les lotisseurs clandestins y contribuant à un degré moindre. La deuxième forme que revêt cette expansion réside dans l’urbanisation par essaimage, caractérisée par une occupation en noyaux disséminés au sein de vastes espaces généralement agricoles, avec une localisation le long des principaux axes routiers. Cette forme d’urbanisation, caractéristique de la deuxième couronne périurbaine, est constituée essentiellement d’habitat non réglementaire. Enfin, la troisième forme d’extension urbaine résulte d’un rapide développement de petites agglomérations rurales constitutives d’une troisième couronne périphérique dans la ceinture agricole de Tunis.
Métropolisation et reconfigurations socio-spatiales
À partir des années 1990, et à l’instar d’autres grandes villes de la région (Casablanca, Le Caire, Amman, Istanbul), Tunis a connu des transformations profondes liées à la libéralisation de l’économie, à la suite de l’adoption d’un plan d’ajustement structurel (sur injonction de la Banque mondiale et du FMI) et au désengagement de l’État en faveur des acteurs privés. Afin de capter les investissements étrangers et dans le but de positionner Tunis parmi les métropoles régionales, d’une part, la stratégie urbaine de l’État s’est articulée autour de la mise à niveau des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, de nature à faciliter l’accueil de nouveaux investisseurs potentiels, et, d’autre part, elle a privilégié la création d’équipements de rayonnement national et international (Ben Othman, 2017). Cette politique a également initié l’ouverture du champ de la production urbaine aux investisseurs privés nationaux et internationaux, avec une libéralisation du marché foncier, un encouragement à la promotion immobilière privée et la mise en place de partenariats avec les investisseurs du Golfe. La politique d’internationalisation des projets urbains qui a été adoptée a ainsi favorisé l’émergence d’une production urbaine revêtant la forme de grands projets financés par des groupes financiers émiratis, tels que Tunis Sport City à Tunis, The Financial Harbor à Raoued et les projets du Lac de Tunis (Barthel, 2008). La croissance urbaine dans le Grand Tunis a été caractérisée par l’ouverture de larges zones à l’urbanisation, correspondant à des zones agricoles délaissées (Aïn Zaghouan, La Manouba, Raoued) alors mobilisées pour la production de grands projets urbains publics et par une reconquête d’espaces centraux et de marges aquatiques jusque-là non valorisés ou en friches (le port de Tunis, les projets du Lac Nord, de Sebkhet Ariana, de Sebkhet Sijoumi).
Une exacerbation des disparités socio-spatiales
Les mutations économiques et urbaines des décennies 1990-2010 ont induit des changements quant aux marchés fonciers et immobiliers s’accompagnant d’une exacerbation des enjeux autour du sol urbain, surtout à Tunis. La privatisation de l’action urbaine n’a fait qu’accentuer les ségrégations socio-spatiales et accroître les effets de l’exclusion du marché formel du logement à un spectre plus large de catégories sociales, dont une partie des classes moyennes. Ces ménages s’orientent de plus en plus vers les lotissements non réglementaires en périphérie et se trouvent ainsi relégués vers des marges urbaines de plus en plus lointaines (Legros, Ben Othman Bacha, 2015). Désormais, à partir des années 2000, l’habitat non réglementaire à Tunis représente près de 35 % des logements produits, avec une localisation préférentielle en périphéries nord et sud, sur les plaines fertiles de Mornag et de L’Ariana. Afin de réduire ces disparités, la politique de la ville a été orientée vers la réhabilitation de ces quartiers non réglementaires (Legros, 2003). Les investissements privés dans la construction des logements sociaux ont également été encouragés via des projets nationaux ayant pour but affiché l’amélioration des conditions de vie des plus démunis, mais qui correspondent in fine à des modalités de régulation sociale et politique de ces quartiers. À Tunis, comme à Casablanca ou au Caire, les projets métropolitains d’envergure ont donc été conduits parallèlement à une action forte de l’État en matière de relogement et de logements sociaux, dans un but clientéliste et dans le but de maintenir la légitimité de régimes autoritaires fragilisés.
Tunis, un lieu de mobilisations citoyennes
Mais les efforts de l’État en vue de contenir tout mouvement contestataire ont été vains et les inégalités socio-spatiales ont constitué l’un des facteurs déclencheurs des soulèvements populaires de 2011 qui ont, certes, émané des régions intérieures du pays mais dont Tunis a constitué le lieu de dénouement : d’abord dans les quartiers populaires de la périphérie tunisoise et ensuite, le 14 janvier, avenue Habib Bourguiba, située en centre-ville, devenue depuis un lieu emblématique de mobilisation citoyenne. Contrairement à d’autres capitales de la région, où les soulèvements ont vite été étouffés, voire réprimés par la force et dans le sang ou encore récupérés par des mouvements extrémistes, Tunis a été le lieu de mobilisations citoyennes aboutissant à la naissance de la Deuxième République et à la promulgation, en 2014, d’une nouvelle constitution consacrant les principes de décentralisation et de démocratie participative. Le code des collectivités locales, adopté en mai 2018, a ensuite redéfini le partage des compétences entre les structures déconcentrées et les collectivités locales, selon les principes de libre administration et d’autonomie financière et administrative. Il a permis la tenue des premières élections municipales libres marquées par la montée en puissance des listes indépendantes dans plusieurs communes. Les reconfigurations politiques en cours augurent d’une nouvelle répartition des rôles entre acteurs centraux et locaux, qui ne manqueront pas d’avoir un effet sur les modalités de faire et surtout de gérer la ville par les acteurs locaux.