Documentaire écrit, filmé et monté par le cinéaste franco-irakien Abbas Fahdel (2016). Le film est composé de deux parties : « Avant la chute », tourné en 2002, et « Après la bataille », réalisé dans les semaines qui ont suivi l’invasion et la chute de Saddam Hussein en 2003 ; durée totale : 5 h 34.
Abbas Fahdel s’explique : « Quand s’est précisée la menace d’une guerre, j’ai compris que l’Irak de ma jeunesse, celui que j’avais quitté pour venir étudier le cinéma à Paris, était en passe de disparaître. J’ai décidé d’y retourner avec une caméra, de filmer toutes les petites choses du quotidien pour les sauver de l’anéantissement. » Le film est donc une immersion directe dans la vie des proches du réalisateur. La première partie enchaîne les séquences intimistes, parfois surréalistes, comme celle des pendules rythmant le silence face aux gesticulations officielles à la télévision qu’on regarde le visage fermé. Il livre les subtilités d’une sociabilité mal connue en Europe : le repas de Muharram qu’on offre au voisinage, une balade dans le souk traditionnel de Shorja ou sur les berges de l’Euphrate. La caméra se focalise sur des visages en gros plan scandant le déroulé du film. Les sourires laissent place peu à peu à la tension et aux regards noircis d’angoisse jusqu’au claquement sec du coup de feu final. Fahdel poursuit : « J’étais également animé par une sorte de superstition : tant que je les filmais, rien ne pouvait leur arriver. Cela s’est d’ailleurs confirmé. Un mois après que j’ai arrêté de tourner, mon neveu Haidar, très présent dans le film, a été assassiné. Quelques mois plus tard, deux de ses cousins ont été tués à leur tour. »
Après la bataille, la caméra plonge au cœur des destructions dans Bagdad. Dans une tragique mise en abyme qui évoque la célèbre photo du conservateur du musée national assis, en pleurs, au milieu d’une salle saccagée, l’une des séquences filme le Studio Rachid, Centre national du cinéma, vandalisé. L’acteur Sami Kaftan y découvre en direct les centaines de mètres de pellicules ravagées et déclame un texte tandis que sa silhouette s’efface peu à peu au milieu des décombres. Jean Rouch disait que pour faire un bon film d’ethnographie, il faut être bon ethnologue mais aussi bon cinéaste, car les images doivent pouvoir parler d’elles-mêmes. Or les deux exigent une approche patiente et délicate de la culture de l’autre. Ici, le regard du cinéaste est structuré par l’exil, donc l’expérience de l’altérité, mais sur une réalité qui est aussi la sienne. Serge Daney avait décrit la guerre de 1991 comme la première guerre sans images : ce film offre un contrechamp, à la fois personnel et sans filtre, à la seconde guerre du Golfe.