Créée lors du percement du canal de Suez, la ville d’Ismailiya se caractérise d’emblée par une croissance urbaine due à l’arrivée constante de travailleurs migrants de tout le pays. Dans ce contexte émergent des quartiers précaires principalement édifiés sur des terrains publics ou au statut contesté. À l’occasion d’un accord avec la coopération britannique, une première série d’interventions démarre dans le quartier Hay el Salam, inaugurant ainsi un programme national de parcelles assainies entre 1977 et 1980. Celui-ci se définit par une approche progressive de l’urbanisation, la quasi-absence de démolition et la projection dans une extension tramée du quartier (Davidson, Payne, 2000). Il demeure une référence en la matière tandis que le reste du pays ne connaissait que de rares expériences de régularisation, par exemple à Assouan ou à Helwan, dans la banlieue sud du Caire (Taher, 2001).
Dans le sillage de cette expérience, le gouvernorat d’Ismailiya s’est engagé dans l’un des premiers programmes de développement durable intégré, le Sustainable Ismailia Project dirigé par Habiba Eïd, qui l’a porté avec détermination avec le soutien des bailleurs (ONU-Habitat, PNUD, gouvernorat) puis, à partir de 1997, du seul gouvernorat. Au-delà des apports de ce programme en termes d’équipements sanitaires, l’analyse des interactions entre fonctionnaires territoriaux et résidents du quartier de Kilo Etnen a pointé la mise à l’épreuve présidant à l’application de règlements d’urbanisme en décalage avec les pratiques réelles.
Ainsi, la règle du tandhim, ou principe d’alignement, conditionne la régularisation de l’habitat à un « retrait » volontaire sur la rue, d’où le désintérêt, voire le rejet par des habitants (Deboulet, 2001) qui, par ailleurs, ont des origines et intérêts très divers – familles de pêcheurs originaires du Fayoum, descendants des propriétaires terriens, périurbains.
En 2006, un atelier de travail mené avec des étudiants de master en architecture prenait place dans deux secteurs d’un nouveau périmètre d’intervention, inscrit dans le cadre du programme de restructuration urbaine de quartiers précaires et financé par la coopération italienne, le PNUD, ONU-Habitat et le gouvernorat. Réalisé à El Hallous et à El Bahtiny, le contexte exceptionnel de ce travail participatif entre le gouvernorat et des associations locales a permis de redéployer l’enquête. Il apparaissait alors que la règle du tandhim avait connu un réel assouplissement.
Malgré tout, les outils de planification spatiale n’intègrent que faiblement les nouvelles données issues d’un système d’informations géographiques : tailles des parcelles, hauteurs, conditions de logement… Il faudra le mémoire de master de Bérangère Deluc (2008) pour affiner cette cartographie par l’appréhension des densités résidentielles : de plus de 700 habitants à l’hectare en 2008, ces densités passeraient à 1 200 habitants en 2018. Se révèle là une donnée inédite : ce quartier périphérique atteint une densité aussi élevée que celle des quartiers dits « informels » supposés les plus denses au Caire, sans que pourtant rien ne permette de l’anticiper !