Alger – La casbah d’Alger

« Ville incomparable, jolie comme une perle,
Splendide à souhait, au bord de la mer
Les mouettes au port, les bateaux ancrés
Les îles reliées, le môle qui les suit
Vision d’une coupole, la Casbah colline
Maisons séculaires, cèdres renforcés
Habitat mystère, les murs patinés
Terrasses gouailleuses, ruelles clairières
Céramiques claires, colonnes torsadées
Marbre le parterre, patios ombragés
Alger El Djazair, comptoirs phéniciens
Hercule y vécut, Mezghenna aima
L’Andalou maçon traça le schéma
Le soleil selon, un gîte à la lune
Un peuple pour époux, épouse dulcinée
Casbah solitaire, joyau de mon cœur
Casbah de mémoire, aux histoires citées
Le voile qui te sied, ne peut plus cacher
Les rides séniles, rongeant toute ta peau
À chaque jour nouveau l’agonie te guette
Et toi toute muette, dans les yeux ta vie
Gaieté des enfants, l’œuvre des mamans
Dans ce monde nouveau, tu es matriarche
Je sais ce que racontent, les tournants des rues
Les pavés qui chantent, les pas des partants
Du sang sur les murs, linceuls dans les tombes : 
Je me dois de dire à ceux qui ne sont plus :
Qu’ils sont avec nous et Toi avec eux
Nous sommes leur Casbah et toi notre aïeule ! »
« Casbah », poésie de Himoud Brahimi dit « Momo »,
Le Chantre de la Casbah, Alger, le 28 mars 1978
 
On dit « médina de Rabat », de Tunis, de Casablanca, de Sousse, etc., pour désigner les villes précoloniales ou ce qui en reste dans le Maghreb, cependant, on ne dit jamais ou presque « médina d’Alger » pour désigner la Casbah. Sauf peut-être dans certains écrits récents qui empruntent à la langue de bois académique ce qu’elle a de plus conventionnel, mais aussi de plus réducteur. Comme si ce vocable, inadéquat à l’origine, puisqu’il désignait la citadelle d’Alger (en arabe el qasbah) avant la colonisation, avait, par la magie des bricolages sémantiques dont les Algérois sont friands, la vertu de condenser en un seul mot le mythe et la réalité.

Nul autre que Himoud Brahimi, « Momo » pour les Algérois, n’avait cerné le véritable paradoxe de la Casbah : celui d’être autre chose qu’un morceau, qu’un quartier de ville. « Vous croyez, sans doute, que la Casbah est un quartier ? Hé bien non, la Casbah n’est pas un quartier, c’est la conscience endormie d’une civilisation », prévenait-il quand on lui demandait de dire le lieu qui l’avait vu naître et dont il s’était fait le chantre illuminé, mais néanmoins lucide. Et l’on pourrait ajouter que la situation qu’il décrivait dans son poème de 1978 – « Casbah de mémoire, aux histoires citées / Le voile qui te sied, ne peut plus cacher / Les rides séniles, rongeant toute ta peau / À chaque jour nouveau l’agonie te guette / Et toi toute muette, dans les yeux ta vie / Gaieté des enfants, l’œuvre des mamans / Dans ce monde nouveau, tu es matriarche » – traduit à la fois l’extraordinaire puissance et résistance du mythe tenace de la ville citadelle, mais également, et malheureusement, l’incroyable amnésie des Algérois et l’insondable impéritie des édiles municipaux qui se sont succédé depuis l’indépendance.

 

 

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Auteur·e·s

Safar Zitoun Madani, sociologue, Université d’Alger


Citer ce focus

Safar Zitoun Madani, « Alger – La casbah d’Alger », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/focus/la-casbah-dalger/