Février 2013. Après avoir laissé derrière nous le boulevard du 9 avril 1938 pour nous engager sur la vaste place de la Kasbah, emblématique des occupations de la révolution de 2011, nous sommes immédiatement impressionnés par la quantité de drapeaux rouge vif qui agitent l’espace névralgique du pouvoir politique et de la ville de Tunis.
Les drapeaux flottent sur toute la place, en un ordre peu évident, mais en rapport avec les hauts lieux qui la composent : le palais du gouvernement, le ministère de la Défense, l’ancien palais du gouvernorat de Tunis (siège de l’hôtel de ville) duquel personne n’entre ni ne sort, le lycée Sadik, la mosquée de la Kasbah, fermée, le ministère des Finances, l’hôpital Aziza Othmana et, enfin, le monument national trônant au centre de l’esplanade centrale.
Tous ces monuments et palais sont ornés de drapeaux et, de même, l’espace libre qui les sépare est jalonné de festons et de mâts revêtus de drapeaux. L’étoile à cinq branches et la demi-lune se détachent sur le fond rouge vermeil des tissus : grandes banderoles ornant les façades des édifices, étendards attachés aux lampions, enfilades de drapeaux selon l’ordre des hampes, petits drapeaux accrochés à de longues chaînes qui rappellent les aménagements joyeux des fêtes populaires, bien davantage que l’austérité du pouvoir.
La place semble être tapissée de drapeaux, mettant en valeur sa richesse architecturale tout en suscitant une sensation prometteuse. L’abondance de drapeaux meuble l’espace comme on le ferait pour le salon de la maison, lieu de représentation réservé aux grands événements et dont l’espace est décoré pour mettre en lumière les moments importants de la vie : les déjeuners cérémonieux, les photos, la stabilité, la richesse. Plus explicitement, il s’agit là d’une évidente mise en scène des institutions, de l’histoire, de l’État et de ses palais où sont prises les décisions qui déterminent l’avenir.
Par habitude, convention ou conviction, les drapeaux nous rassurent dans notre appartenance à un corps, à une patrie, à une équipe, à une identité politique, culturelle, sociale, etc. Les drapeaux sont également des objets qui accompagnent le quotidien et qui composent le paysage urbain. Ils égayent les foules qui applaudissent les manifestations sportives, ils animent les façades des édifices et ils embrassent les morts des nombreuses guerres. D’ailleurs, comme tous les signes, les symboles « signifient » : ils portent le sens qu’un individu ou un groupe leur prête.
Au-delà du décor, la présence des drapeaux opère une mise en scène à laquelle participent les citoyens, les passants, les visiteurs ou les manifestants, transformant ainsi l’espace public en un lieu de pratiques communautaires qui prennent forme dans les matchs de football, les promenades ou les rendez-vous, mais aussi dans les manifestations et protestations.