Quartiers – Sabra : un « petit Dacca » en périphérie beyrouthine

Évoquer Sabra revient généralement à convoquer l’histoire des guerres libanaises (1975-1990), notamment celle des massacres perpétrés contre les habitants palestiniens durant l’invasion israélienne (1982), puis ce que l’on a nommé la « guerre des camps » (1985-1987) menée par la milice Amal soutenue par l’armée syrienne. Si l’histoire et la géographie contemporaine de ce secteur restent très étroitement liées à ces événements tragiques, elles sont aussi inscrites dans les dynamiques métropolitaines beyrouthines et dans celles de la mondialisation de ce début de xxie siècle.

Sabra se trouve dans la première couronne périphérique de Beyrouth, lieu de jonction avec Dahiyé, le terme désignant communément la banlieue sud. Extension du camp Shatila et structuré par les groupements informels, habité par les populations issues de l’exode rural et des déplacements forcés, ce quartier très densément peuplé est caractérisé par de très forts niveaux de pauvreté, par la déliquescence des services publics et l’absence des autorités officielles, par la vétusté du tissu bâti et par l’informalité des activités. Ainsi, dans une ville où l’accès au parc locatif et au marché immobilier est rendu difficile en raison des pratiques spéculatives et où, plus généralement, l’offre reste inadaptée à la demande locale, Sabra offre des opportunités résidentielles, notamment pour les personnes aux revenus modestes et au statut administratif précaire. Incidemment, tandis que les Libanais et les Palestiniens partent, le nombre de Syriens a cru à Sabra depuis le déclenchement de la guerre dans leur pays, et les ressortissants éthiopiens, soudanais, philippins ou encore bangladais constituent dorénavant des habitants ordinaires.

Sabra est également l’un des plus grands marchés de la capitale libanaise, attirant une clientèle venue de différents secteurs de l’agglomération qui y trouve des fruits et des légumes, de la viande, des vêtements et du matériel électronique à des prix très bas. C’est dans ce contexte qu’un marché bangladais s’y est développé depuis le début des années 2010, avec des modes de négociation des places très complexes au regard de la hiérarchie régissant les rapports entre les différents groupes sociaux et nationaux. Les pionniers de la décennie 2000 ont donc dû faire face à une concurrence nouvelle de la part d’une dizaine de biffins installés sur les trottoirs et de commerçants louant des locaux avec pignon sur rue. Le dimanche, en particulier, une clientèle bangladaise nombreuse parcourt les différents magasins et échoppes, fréquente les restaurants, transformant le paysage et l’ambiance le temps d’une journée, laissant dire à certains : « Ce n’est plus Sabra ici, c’est Dacca ! »

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Auteur·e·s

Dahdah Assaf, géographe, Centre national de la recherche scientifique


Citer ce focus

Dahdah Assaf, « Quartiers – Sabra : un « petit Dacca » en périphérie beyrouthine », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/focus/quartiers-sabra-un-petit-dacca-en-peripherie-beyrouthine/