Transports alternatifs – Le « touk-touk » en Égypte : condition de toutes les mobilités

Le touk-touk, vous connaissez ? Vraisemblablement pas. Vous aurez en revanche sans doute entendu parler du pousse-pousse asiatique. Réinvention indienne du triporteur italien de Piaggio, l’autorickshaw se révèle être le standard d’une autre mondialisation. Son introduction en Égypte s’inscrit dans un processus extensif de ses usages dans les villes du pays, mais aussi à l’échelle du continent africain. Dans les villes qu’il a conquises, le rickshaw à moteur opère une véritable révolution dans les mobilités de proximité des habitants. Loin de l’anecdote provinciale, plus de 300 000 véhicules circulent en 2018 et répondent de manière originale aux attentes d’une population délaissée par les pouvoirs publics. Le touk-touk propose une prestation nouvelle à des citadins marginalisés et la dignité d’un travail à ceux qui l’exploitent. Service auto-produit et autonome, il intervient dans la vie d’une majorité de citadins des petites villes et des bourgs périurbains, à qui il offre la possibilité d’une mobilité inédite.

Son apparition a engendré une véritable modernisation des services urbains. Le touk-touk, en se démultipliant, compose une offre de transport de point à point et ce à tarif unique. Plus rapide que la marche, plus performant que la calèche, le triporteur débouche régulièrement en creux de la circulation automobile, déstabilisant l’existant. Il dispute la rue à la calèche et ébranle la cogestion d’un segment très rentable des circulations de proximité. En arrivant en Égypte, l’innovation s’attache la figure du jeune diplômé au chômage qui va décider de la trajectoire provinciale du triporteur. Reléguée en Inde, l’activité est d’emblée dans le compromis égyptien associé à l’imaginaire du self made man. Depuis la fin de la possibilité nassérienne d’intégrer la société salariale (« un emploi pour un diplôme ») demeure une alternative : se mettre à son compte. C’est lors de cet apprentissage de l’aléa que de jeunes diplômés chômeurs se saisissent de l’innovation : le touk-touk permet alors de devenir chauffeur d’un mini-taxi, patron de sa propre affaire ou encore responsable d’un investissement familial à faire fructifier pour subvenir au besoin du foyer et (enfin) prétendre au mariage.

L’objet ambulant, en fluidifiant le mouvement, enrichit son opérateur. Le touk-touk rend mobile et solvable une population jeune et pauvre. La technologie permet enfin de se projeter dans l’avenir. L’autorickshaw est un projet crédible. Créancier et débiteur y croient, s’y retrouvent, l’objet technique s’attachant l’effort des uns et l’argent des autres. Flux monétaires et mobilités circulaires de ses utilisateurs soutiennent l’inexorable diffusion du modèle à trois roues.


Auteur·e·s

Tastevin Yann-Philippe, anthropologue, Centre national de la recherche scientifique


Citer ce focus

Tastevin Yann-Philippe, « Transports alternatifs – Le « touk-touk » en Égypte : condition de toutes les mobilités », Abécédaire de la ville au Maghreb et au Moyen-Orient, Tours, PUFR, 2020
https://abc-ville-mamo.univ-tours.fr/focus/transports-alternatifs-le-touk-touk-en-egypte-condition-de-toutes-les-mobilites/