Capitale de l’émirat de Transjordanie en 1923 et du royaume hachémite depuis 1946, Amman est une ville de près de 4 millions d’habitants, au sein d’une agglomération urbaine en comptant 6 millions, englobant les villes voisines de Russeifa et Zarqa. Des centaines de milliers de Palestiniens y ont trouvé refuge (1948, 1967, 2000) et, plus récemment, la stabilité du royaume dans un Moyen-Orient en crise a attiré vers Amman de nombreux réfugiés irakiens (1991, 2005) et syriens (entre 2011 et 2014). Durant la guerre du Golfe (1991), le pays et sa capitale ont aussi fait face au retour de centaines de milliers de Jordaniens expatriés. Son taux de croissance urbaine est l’un des plus élevés au monde – 7 % par an depuis 2004 –, dû à l’arrivée de réfugiés, dont 200 000 Irakiens et 400 000 Syriens selon le recensement de 2015, et à une forte croissance naturelle, alimentée par un indice de fécondité de 3,7 enfants par femme. Les nouveaux arrivants, souvent pauvres, se sont répartis dans les quartiers centraux et est de la ville, près des deux camps palestiniens de Jabal Hussein et Wahdat. Ils y ont rejoint 600 000 travailleurs égyptiens.
Expansion, défis urbains et paradoxes
d’une capitale inabordable
La ville est confrontée à des défis majeurs : près d’un quart d’appartements vides, des logements trop grands et aux loyers élevés, ou bien surpeuplés pour diviser les coûts ; congestion urbaine, alors que seuls 11 % des déplacements sont assurés par les transports publics et que le projet de bus rapide en site propre Bus Rapid Transit (BRT) commencé en 2009 devrait être opérationnel en 2021 ; collecte des déchets irrégulière et sans tri ; restriction de l’eau courante ; insuffisance des espaces verts et publics ; et, enfin, défis environnementaux avec une forte pollution de l’air due à la circulation automobile, au sable et aux particules chimiques. Les disparités sociales sont aiguës entre les quartiers est et ouest de la ville, devenus inabordables pour les classes populaires et chers pour la classe moyenne. En effet, Amman a été classée ville la plus chère du monde arabe en mai 2018 par The Economist Intelligence Unit selon son étude sur les coûts comparés de la vie dans les villes mondiales (Amman est 28e, devant Barcelone et Madrid). Cette particularité tient à la présence d’une communauté jordanienne expatriée dans le Golfe qui envoie des remises de fonds mensuelles, à l’absence de taxation sur les terrains non bâtis qui encourage la spéculation foncière et pousse les prix vers le haut, et à l’accueil facilité des capitaux irakiens et arabes qui investissent dans l’immobilier et peu dans l’industrie. Mais si Amman se remet de la crise économique mondiale de 2008, son centre d’affaires d’Abdali inauguré en 2013 et sa zone économique franche de Sahab peinent à attirer des investisseurs. Toutefois, la ville dispose de ressources liées à l’aide directe au développement qu’elle perçoit depuis que le roi Hussein a signé la paix avec Israël en 1994. La municipalité du Grand Amman bénéficie de l’assistance de la coopération américaine (US-Aid), de la Banque mondiale (planification urbaine, réforme énergétique, stratégie du climat), de l’Agence française de développement (projet BRT) et de l’Union européenne.
Une ville refondée en 1878
Dotée de vestiges archéologiques de l’Âge du bronze (les Ammonites y fondent une ville fortifiée sur un éperon dominant une source, Sayl Amman), grecs et romains (Philadelphia), la ville connaît une période faste sous les Omeyyades avant d’être détruite par un tremblement de terre en 748. Les deux théâtres romains servent de site d’hivernage à des clans de la grande tribu des Bani Sakhr dès le XVIe siècle. Le renouveau de la ville débute avec la fondation d’une colonie tcherkesse en 1878, sous protection ottomane. Ces musulmans du Caucase persécutés par les Russes sont intégrés dans l’armée ottomane, puis placés au service de l’émir de Transjordanie à partir de 1921. Des commerçants des villes de Salt, Naplouse et Jérusalem s’y installent. En 1909, la municipalité est créée. La ville se développe avec l’arrivée d’environ 50 000 réfugiés palestiniens en 1948. Le royaume hachémite de Jordanie annexe la Cisjordanie en janvier 1949, ce qui draine vers Amman des ingénieurs, des investisseurs et des fonctionnaires. Ces Jordaniens d’origine palestinienne structurent l’économie de la ville et l’administration du pays, tandis que les Jordaniens de souche servent dans l’Armée et les services de police. Deux camps sont créés à Wahdat (Amman New Camp) et Jabal Hussein. En juin 1967, une nouvelle vague de 300 000 réfugiés palestiniens gagne la Jordanie, dont une grande partie s’installe à Amman, développant des quartiers informels dans l’est de la ville, autour des écoles et des dispensaires de l’UNRWA, l’office de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens. Une partie des camps est détruite durant la guerre civile de septembre 1970 entre les combattants palestiniens de l’OLP et les forces armées jordaniennes. Bien qu’ayant fait l’objet de programmes de réhabilitation, ces quartiers constituent des poches de pauvreté, aux taux de chômage élevés, reposant sur l’aide des associations caritatives internationales et islamiques.
Habitat informel et participation citoyenne en question
En 1980, à l’instigation de la Banque mondiale, le Urban Development Department (UDD) est créé au sein de la municipalité d’Amman afin de développer un projet de réhabilitation urbaine de quartiers informels situés en majorité dans la partie est d’Amman, la nouveauté étant d’associer les populations cibles et de procéder à des régularisations foncières par accession à la propriété. Deux villes nouvelles sont créées par l’UDD au cours des années 1980 : celle d’Abu Nusayr, au nord-ouest d’Amman, et celle de l’Amir Talal à Zarqa. Abu Nusayr s’est étendue et compte plus de 30 000 habitants en 2013. Son succès principal tient à une réelle mixité sociale, avec la présence, alors tout à fait nouvelle, de médecins, de militaires ou d’ingénieurs, au sein de chaque immeuble. Le gouvernement jordanien tire fierté de ne pas avoir d’habitat informel, contrairement à Damas ou Alep. C’est une vision tronquée de la réalité. Selon l’Office de statistiques jordanien, 37 % des appartements construits entre 2004 et 2015 l’ont été sans permis de construire, 14 % ont été régularisés après construction et 49 % ont été construits de façon légale. Alors que les fonctions politiques et la majorité des emplois sont concentrés à Amman, la capitale hachémite demeure sous-représentée politiquement. En raison des origines plus diversifiées des habitants des grandes villes, et en particulier de la capitale du royaume, l’expression et la représentation politiques des citadins sont très contrôlées. Les défis posés par la gestion urbaine de villes en chantier permanent, aux tissus urbains ségrégués entre quartiers pauvres développés autour des camps de réfugiés palestiniens, quartiers de classe moyenne et gated communities, sont d’autant plus graves que le contrat social jordanien est remis en question par divers courants d’opposition. La capitale jordanienne aspire à se constituer en un pôle de services, à l’instar des cités-États du Golfe. Elle soigne son image de capitale moderne, au carrefour des influences occidentales et orientales : galeries marchandes et malls sur le modèle de ceux du Golfe ; cafés en terrasses de style européen ; clubs d’influence britannique ; restaurants libanais ; etc. Le projet des Portes de l’Orient (malgré deux tours inachevées depuis 2008) et le nouveau centre urbain d’Abdali, au nord-ouest du centre-ville, témoignent du fait que la ville est une nouvelle destination des investisseurs du Liban, d’Irak et du Golfe. Mais l’envers de ces grands projets est qu’ils sont destinés à des citadins de « première catégorie », capables de consommer et de décider, qui sont très minoritaires dans une capitale aux nombreuses zones de pauvreté. La crise économique mondiale a suspendu la plupart des projets. Les grands chantiers immobiliers sont à l’arrêt, laissant un paysage de cratères et de grues en plein centre-ville. Les Syriens ont moins investi que les Irakiens dans l’immobilier, mais ils y contribuent comme manœuvres et artisans. Amman s’est donné comme objectif « zéro émission carbone » en 2050. Elle compte pour cela sur la réduction des émissions des bâtiments (isolation des toits, des fenêtres, lampes LED, panneaux solaires), le développement des transports publics électriques, la récupération des eaux de pluie, le tri sélectif, la plantation d’arbres. Mais le manque de coordination entre les différents départements et la frustration croissante des employés écrasés sous le poids de la bureaucratie limitent la réalisation de ces objectifs.