Cinquième ville de Syrie jusqu’à sa destruction en 2017, Raqqa est située sur l’Euphrate à 180 km à l’est d’Alep, sur la route qui lie l’Europe à la péninsule arabique.
Une ville plusieurs fois capitale
Cette ville moyenne, à l’histoire exceptionnelle, a été à plusieurs reprises capitale de royaume ou d’État autonome : sous le calife abbasside Harun al-Rashid au VIIIe siècle, au début du XXe siècle lors de la révolte arabe (État de Hajem ibn Muheid), en mars 2013 comme « capitale de la révolution », puis sous le contrôle de l’État islamique, de janvier 2014 à octobre 2017. Toute une littérature arabe classique a célébré la beauté architecturale de la ville, qui serait la première pour laquelle le mot « capitale » [‘asîma] aurait été utilisé, selon l’historien Al-Tabârî. Détruite par les Mongols en 1258, Raqqa est demeurée inhabitée jusqu’à ce que les Ottomans y établissent une garnison en 1864 pour sécuriser la route de l’Euphrate vers Bagdad. La région connaît alors un premier essor économique autour de la culture du coton, à l’initiative de commerçants alépins. La population se développe, contrôlée par deux groupes de familles citadines, les Acharin et les Akrad, qui comptent des éléments kurdes progressivement mêlés aux Arabes.
Au cours des années 1970, Raqqa devient le centre administratif du front pionnier de l’Euphrate, prévoyant le doublement des superficies irriguées au moyen de trois barrages, de canaux et de fermes d’État. La ville fournit alors du travail aux citadins et aux membres des tribus de l’Euphrate. Mais le projet de l’Euphrate ne s’est pas accompagné d’un développement industriel. La première usine d’égrenage du coton n’a été inaugurée à Raqqa qu’en 2004, mais sans filature, ce secteur étant contrôlé par les tisserands d’Alep. Un clivage générationnel s’opère entre les membres des tribus n’ayant ni terre, ni emploi, et leurs parents, petits fonctionnaires du parti Baath. La migration de travail vers le Golfe n’est possible que pour les plus favorisés et les diplômés. Par ailleurs, l’État syrien a permis, à Raqqa, la construction par l’Iran d’un mausolée chiite, sur les tombes de compagnons du prophète Mohammed tombés lors de la bataille de Siffin en 657, perçue par la population sunnite comme un ferment de division.
L’invasion américaine de l’Irak en 2003 constitue un choc pour les tribus, dont une partie part combattre aux côtés d’Al-Qaïda. Quand le printemps arabe débute en Syrie en 2011, la ville est si calme, les cheikhs étant payés par le régime pour maintenir l’ordre social, que le président Bachar al-Assad vient y célébrer la fête de l’Aïd al-Adha. Mais les jeunes hommes s’organisent en brigades djihadistes, comme Harakat Ahrar al-Cham al-Islamiyya [Mouvement des hommes libres de la Syrie islamique]. Ils parviennent à libérer la ville du régime en mars 2013, mais dès l’automne une grande partie des cheikhs se soumet à l’État islamique, qui contrôle la ville pendant quatre années noires, multipliant exactions et exécutions. Les crimes commis par l’État islamique sont documentés courageusement par Raqqa is being Slaughtered Silently, un site Internet indépendant dont les membres sont assassinés les uns après les autres. Certains trouveront refuge en Allemagne en 2015 et restent actifs via les réseaux sociaux.
Les défis de la reconstruction
Détruite à 80 % durant la bataille menée, de juin à octobre 2017, par la coalition occidentale contre l’État islamique, le sol truffé de dizaines de milliers de mines, la ville de Raqqa est désormais confrontée aux défis de sa reconstruction et de sa gouvernance. Alors que la ville a été vidée de l’essentiel de ses 450 000 habitants, réfugiés en Turquie ou déplacés dans des camps au sein du gouvernorat, elle se trouve revendiquée par deux conseils civils opposés. Le premier a été formé en mai 2016 par des opposants soutenus par l’Armée syrienne libre (ASL) à Urfa, en Turquie. L’autre a été créé en avril 2017 dans le camp d’Aïn Issa par les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par le Parti de l’union démocratique, proche du PKK turc, et comprenant également des Kurdes étrangers à la ville. La population raqqawie reproche aux FDS de retarder les travaux de déminage, le déblaiement des décombres et l’enterrement des dépouilles. Parallèlement, un débat international émerge en 2018 alors que les forces de la coalition sont accusées d’avoir délibérément rasé la ville, sans pitié pour les milliers de civils encore présents. Dès avril 2018, la question des modalités de la reconstruction de la ville se pose, alors que les États-Unis ont annoncé geler les 200 millions de dollars prévus à cet effet. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont, pour leur part, promis un soutien de 100 et 50 millions de dollars. Selon les Nations unies, 100 000 habitants seraient retournés habiter à Raqqa, dans les décombres de leurs immeubles, à l’automne 2018, alors que les infrastructures (eau, égout, électricité, routes) ne sont pas encore reconstruites. Les tensions politiques restent vives, comme en témoigne l’assassinat, en novembre 2018, de l’un des principaux cheikhs arabes de la ville, Bachir Faysal al-Huweidi, qui a entraîné le retrait de membres arabes du conseil municipal kurdo-arabe FDS.