En 2010, la sortie du film Les femmes du bus 678 de Mohamed Diab (avec Nelly Karim, Maged El-Kedwany et Bassem Samra) a mis au jour la question du harcèlement sexuel en Égypte. Le film s’inspire d’une réelle agression contre une jeune femme, Nuhâ Rushdî, qui avait osé porter plainte, procédure rarissime. En 2008, l’issue du procès condamne l’agresseur, mais sa victime, cible d’une violente campagne l’accusant de déshonorer l’image du pays, est contrainte à l’exil.
Le tabou sur le harcèlement sexuel est tel que le réalisateur peine à trouver des actrices pour les rôles féminins. C’est finalement Bouchra, chanteuse célèbre et engagée, qui accepte celui de Fayza obligée, faute d’argent, de prendre le bus 678 où elle subit quotidiennement des attouchements. Dans le film, l’association entre Fayza, Seba et Nelly, également agressées, conduit les trois héroïnes à résister par différents moyens jusqu’au procès final. Suscitant des débats publics et de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, le film a un réel succès en Égypte et à l’étranger : il montre que le harcèlement sexuel concerne tous les milieux sociaux et met en évidence les obstacles que rencontrent les femmes dans leur lutte.
Selon une enquête menée en 2008, l’Égypte est le pays du monde arabe où les agressions sexuelles sont les plus fréquentes : 83 % des Égyptiennes auraient été victimes de harcèlement et 62 % des Égyptiens admettent qu’ils harcèlent volontiers celles-ci. Plus de la moitié des hommes interrogés accusent les femmes de les provoquer, notamment lorsqu’elles ne sont pas voilées, mais les femmes harcelées déclarent, quant à elles, porter le voile… La gravité de la situation conduit à la promulgation d’une loi en 2009 constituant le harcèlement comme un délit punissable de prison, même si très peu de femmes osent porter plainte.
La question du harcèlement sexuel est, à nouveau, un douloureux sujet lors de la révolution de janvier 2011, puis en 2013, alors que des manifestantes et journalistes étaient agressées. Les réactions se sont multipliées, émanant des ONG ou de militant(e)s initiant des campagnes de sensibilisation à l’exemple des activistes de Basma [L’Empreinte] qui, dans les transports en commun ou les rues, admonestent les suspects et marquent les harceleurs de mercurochrome. En dépit de ces efforts, la pression sociale, le sentiment de honte et la peur des représailles font que les violences sexuelles dans les espaces publics ou au sein de la famille demeurent largement taboues et impunies.