Alors que la constitution garantit aux femmes le droit à la propriété et à l’héritage selon la loi islamique en vigueur, les femmes jordaniennes subissent une forte pression sociale pour renoncer à leurs parts en faveur de leurs frères. Selon les statistiques de la Cour suprême de la charia, en 2014, un tiers des héritiers a renoncé à ses droits, en procédant à une « exclusion » [takhâruj]. Une majorité de femmes a intériorisé le principe selon lequel hériter signifie priver leurs frères du bien de leurs pères et conforte par-là les privilèges des hommes en matière d’héritage. Dans nombre de cas, les mères, les filles et les sœurs ne reçoivent pas leur part d’héritage pleine et entière, mais au mieux une compensation financière symbolique, selon la Jordanian National Commission for Women. En 2012, seules 6,8 % des femmes mariées étaient propriétaires d’un logement, et seulement 7 % possédaient de la terre, contre respectivement 60,9 % et 51,3 % pour les hommes. Dans le détail, 3,2 % des femmes mariées sont l’unique propriétaire de leur logement, 3,5 % en sont copropriétaires [mushtarak] avec leur mari ou leur frère. Dans les grandes villes d’Amman et d’Irbid, certaines femmes des classes supérieures parviennent à obtenir que leur logement soit enregistré à leur nom au moment du mariage. Selon l’Office statistique jordanien, les femmes possèdent ainsi 19,5 % des logements enregistrés en 2014 (les logements construits dans des buts d’investissement et destinés à la location sont systématiquement enregistrés). Mais ces appartements ne constituent que 42 % de l’ensemble des logements (maisons, immeubles familiaux) selon le recensement. Afin de lutter contre la fragmentation des biens fonciers, en particulier des terres agricoles, et de garantir de larges parts d’héritage aux fils, un usage très répandu consiste pour le père à céder, de son vivant, ses biens à ses fils. En 2014, près du tiers des ventes de terres en Jordanie a eu lieu entre proches, contre un quart en 2005. L’une des spécificités du pays est que les chrétiens, qui forment moins de 3 % de la population, appliquent eux aussi les procédures musulmanes d’héritage. Certains notables chrétiens sont de grands propriétaires fonciers qui partagent les mêmes normes sociales que les Jordaniens musulmans concernant l’héritage. Ils dépossèdent volontiers leurs filles, de peur que leurs biens ne soient transmis aux familles de leurs gendres par leurs héritiers.
En 2010, les militants des droits des femmes sont parvenus à travailler avec le juge de la Cour suprême de la charia pour introduire une période de trois mois de latence après le décès, pendant laquelle nulle transaction ne peut avoir lieu. Cette période évite que les héritières ne soient dépossédées de leurs parts d’héritage sous le coup de l’émotion. Paradoxalement, le conservatisme de plus en plus grand de la société conduit des pères à appliquer « la volonté de Dieu » telle qu’inscrite dans la charia, dont les prescriptions en matière d’héritage sont complexes et ne se limitent pas à accorder une part double aux héritiers mâles, ce qui encourage l’accès à la propriété des filles, et condamne les pressions sur les femmes pour qu’elles renoncent à leurs biens. Les femmes constituent la moitié de la population urbaine et occupent, depuis 2013, le quart des sièges de conseillers municipaux, mais sont dépourvues de poids économique. L’exclusion des femmes de la propriété constitue l’un des plafonds de verre qui entravent leur intégration à l’économie jordanienne.