Si presque tous les Marocains savent que le film mythique Casablanca de Michael Curtiz ne fut jamais tourné dans cette ville mais dans des studios hollywoodiens, de nombreux touristes américains en partance pour le Maroc pensent pourtant y trouver le Rick’s Café. C’est aujourd’hui chose possible puisque ce lieu, qui n’a jamais existé autrement que sous la forme d’un décor de cinéma, a été reconstitué en 2004 dans la médina de Casablanca par Kathy Kriger, une diplomate américaine. Les amoureux du film peuvent donc enfin y boire avec nostalgie un verre sur les traces d’Ingrid Bergman et d’Humphrey Bogart, tout en écoutant As Time Goes By joué sur un piano presque identique à celui de Sam.
Ainsi, de nombreux films, dont l’intrigue se passe au Maroc, n’y ont jamais été tournés, et ce bien avant Casablanca, tel le célèbre Cœurs brûlés (Morocco) de Josef von Sternberg réalisé en 1930 avec Marlène Dietrich et Gary Cooper. A contrario, les histoires de nombreux autres films réalisés à Casablanca se déroulent ailleurs. Nous ne saurions ici en faire la liste complète, mais attardons-nous sur deux exemples emblématiques, censés se jouer au Caire pour l’un et à Beyrouth pour l’autre.
Dans OSS 117 : Le Caire, nid d’espions de Michel Hazanavicius (2006), les acteurs parlent le dialecte marocain et non l’égyptien, ce qui s’explique puisque le film a été tourné à Casablanca avec des figurants recrutés sur place. Ainsi, la fameuse scène de poursuite dans le Vieux Caire a été, en réalité, conçue dans l’une des cités ouvrières construites pour les « populations indigènes », par des architectes français pendant le protectorat. Autant dire que les petites rues rectilignes ponctuées d’arcades brisées de ces quartiers singent plus la « ville arabe » telle que se la représentaient ces architectes que les ruelles tortueuses du Vieux Caire. De même, les minarets que l’on voit à l’image sont typiquement maghrébins et n’ont rien à voir avec ceux du Caire.
Dans Jeux d’espions (Spygame) de Tony Scott (2001), la scène qui se déroule à Beyrouth durant la guerre a également été filmée à Casablanca, sur le boulevard Mohammed V où, d’un côté, les arcades du Marché central (lui aussi dessiné par un architecte français) nous signifient que nous sommes dans un pays arabe et, de l’autre, les vraies ruines de l’ancien hôtel Lincoln donnent au paysage une impression de guérilla urbaine. L’autre scène, qui illustre le port de Beyrouth, a été tournée dans l’ancien port de pêche de Casablanca où un bateau, depuis longtemps à moitié coulé, simule très opportunément l’état de guerre. Ceci n’empêche pas la présence, au premier plan, de pêcheurs marocains occupés à leurs activités habituelles sur de très pacifiques chalutiers.
Ainsi, qu’il s’agisse de la reconstitution hollywoodienne d’une Casablanca imaginaire ou de sa transfiguration en une autre ville (Le Caire ou Beyrouth), le paradoxe demeure : Casablanca est toujours considérée par les cinéastes étrangers comme un archétype de la « ville arabe » alors que la capitale économique du Maroc est localement souvent critiquée ou, au contraire, louée comme étant la ville la plus occidentale du monde arabe.
Ce paradoxe, le groupe de musique marocain Hoba Hoba Spirit le chantait de très belle manière en 2002 dans une chanson intitulée Maricane :
Casablanca le film, évidemment
Elli dar fi Hollywood intégralement
À cause de ça depuis plus de cinquante ans
Vous croyez qu’on vit toujours en noir et blanc
Apprenez amateurs de hamburgers
Qu’à Casablanca, et c’est un honneur
On vit tous en couleur, en couleur
En couleur et souvent même en odeurs
Il existe heureusement un cinéma marocain et casablancais très actif (et en couleur !) qui n’a pas besoin de caricaturer la ville, et encore moins de la faire passer pour une autre. Ainsi, dans le film What A Wonderful World de Faouzi Bensaïdi (2006), Casablanca tient le premier rôle dans des décors qui constituent le cadre de vie quotidien des quelque 4 millions de Casablancais.