Ahmed Bahgat, promoteur de Dreamland, vaste compound du Caire, est l’un des hommes d’affaires les plus riches d’Égypte même si, accusé de corruption, il a eu maille à partir avec la justice à la suite de la révolution de 2011. Autodidacte issu de la classe moyenne, il obtient, après des études de mathématiques, un PhD à Atlanta. En 1984, Hosni Moubarak, en voyage aux États-Unis, rencontre les étudiants égyptiens expatriés et leur demande solennellement d’investir dans leur pays en échange de son aide. Sans aucun doute, cette première rencontre avec Moubarak est-elle décisive et, en 1985, le retour au Caire d’Ahmed Bahgat marque l’essor de sa carrière d’entrepreneur dans l’électro-ménager, l’électronique, l’audio-visuel, la téléphonie, etc.
Fasciné par Disneyworld qu’il a visité à Los Angeles, Ahmed Bahgat rêve d’édifier Dreamland, « un Disneyland pour les Égyptiens, en Égypte […] où tous les rêves que vous avez eus deviennent réalité ». Ce projet se précise lors d’une rencontre avec le ministre de l’Habitat : les deux hommes s’accordent sur la vente à bas prix de 900 ha de désert très bien situés, à 8 km du plateau des Pyramides et à vingt minutes du centre-ville par la voie rapide. Inauguré par Moubarak en personne, le chantier commence en 1997 et doit, à terme, héberger 40 000 dreamlanders.
Aujourd’hui, à Dreamland, il est possible d’habiter l’une des 1 700 Golf Villas (de 345 à 924 m2 de surface) regroupées dans des quartiers aux noms de pierres précieuses (Diamond, Jade, Onyx, Topaz, etc.) ou dans l’un des 8 000 appartements (de 148 à 525 m2) destinés aux classes moyennes supérieures avec espaces verts et piscine en cœur d’îlot. Il est encore possible de s’amuser au Dreampark, de pratiquer le Dream Golf, avec vue magnifique sur les pyramides, et tout sport de son choix dans les 150 000 m2 de clubs, de prier dans la mosquée al-Bahgat, de faire ses courses au Dream Mall ou au Bahgat Stores, d’envoyer ses enfants dans l’une des écoles privées (Dream International School, Dream Ideal Education School, The International School of Choueïf), de rencontrer ses relations d’affaires dans l’un des luxueux clubs de Dreamland, d’aller voir des films au Dream Cinema… Étaient encore prévus à Dreamland un hôpital, un technopôle et six tours de bureaux, d’autres shopping centers ainsi qu’une Dreamland Valley qui devait offrir « un environnement pharaonique et la réplique des tombes et monuments égyptiens, aujourd’hui fermés aux touristes ».
Sur les plaquettes publicitaires de Dreamland, le luxe des bâtiments, le traitement des espaces collectifs, la présence de la verdure, des rivières et lacs artificiels – rappelons qu’originellement nous sommes en plein désert –, les fastueux hôtels, clubs et malls ou la mosquée al-Bahgat, couronnée de coupoles bleu et or, ne peuvent qu’impressionner le potentiel acquéreur. De même, les dômes, arcades, colonnes gréco-romaines ou encore le verre fumé, les verrières en aluminium ou la tuile romaine témoignent de l’hétérogénéité des styles. En définitive, les références locales, religieuses, historiques, architecturales sont ténues, bien qu’il soit possible de fréquenter le « club social au style pharaonique » ou de s’amuser, au Dreampark, avec des marionnettes humaines qui représentent Saladin et son grand vizir ou Pharaon. La réalité est moins flamboyante car certains projets de Dreamland ont été abandonnés, la verdure est parfois mitée par le sable et son promoteur, Ahmad Bahgat, accusé de malversations devant la justice, a moins le vent en poupe…
Quoi qu’il en soit, Dreamland reste précurseur en Égypte et traduit bien le projet d’une « civilisation nouvelle, offrant un modèle nouveau, une vie nouvelle pour un nouveau siècle », en rupture avec ce qu’offre, ou plutôt ce que ne peut plus offrir, Le Caire, ville des hautes densités, polluée, populaire et populeuse.