Le qât, dont la désignation botanique est Catha edulis Forskal, est une plante euphorisante consommée, l’après-midi, par une grande partie de la population adulte du Yémen. Seules les feuilles de cet arbrisseau sont mâchées et elles doivent se consommer fraîches. Il existe de nombreuses variétés de qât qui sont nommées d’après les lieux où elles sont cultivées et qui sont classées selon une hiérarchie qui a trait à leurs effets et à leurs prix. Les arbres de qât ne poussent que sur les moyens et hauts plateaux du Yémen, à partir de 600 m. Le qât serait d’abord apparu en Éthiopie, avant d’être diffusé au Yémen où sa consommation était courante au XVe siècle quand le café y fut introduit par le cheikh soufi Alî bin ‘Umar Al-Châdhilî. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ces plantes, le qât et le café, tous deux associés au soufisme, ont fait l’objet de textes littéraires mettant en scène leur rivalité et leurs vertus respectives. Le qât a cependant surpassé le café comme symbole du Yémen du fait que, à la différence du second, il marque, de manière centrale, la vie sociale, culturelle et économique du pays. C’est durant les années 1970 que la culture et la consommation de qât se sont diffusées de manière massive au Yémen du Nord, tandis qu’elles restaient limitées dans le Yémen du Sud pendant la période socialiste (1967-1990), en raison d’une législation réduisant son usage à deux jours par semaine à Aden. La consommation du qât s’est répandue dans l’Hadramaout qui en avait été épargné avant l’unification (1990).
Le paysage rural de nombreuses régions est façonné par la culture du qât, alors que des marchés consacrés à cette plante sont implantés dans toutes les agglomérations du pays. L’économie du qât fait donc vivre une part importante de la population yéménite, entre cultivateurs, transporteurs et commerçants. Sa culture massive, outre qu’elle se fait aux dépens des productions vivrières, est aussi accusée d’épuiser les nappes phréatiques. De plus, sa consommation pèse lourdement sur le budget des familles yéménites et sur l’état de santé de la population. Elle donne lieu à un rituel de sociabilité qui modèle l’espace et le temps des Yéménites. Ainsi, l’achat du qât suscite des mobilités spécifiques dans les villes, souvent au détriment du temps professionnel. Sa consommation provoque une suspension d’une partie des activités urbaines par un retrait dans les lieux privés où se rassemblent des collectifs d’hommes ou de femmes. La séparation des genres est généralement observée durant les séances de qât qui sont autant des vecteurs de lien social que des instances où s’expriment la hiérarchie sociale et une culture de l’entre-soi.